Le travail collectif, le débat d’idées, la pensée philosophique ou le progrès des sciences humaines, sont couramment perturbés par des erreurs logiques que l’on appelle “sophismes”, ou encore “arguments fallacieux”.
Voici une liste non exhaustive :
– Attaquer la personne plutôt que les idées.
– Déformer les propos de l’autre pour l’attaquer.
– Confondre corrélation et causalité : ce n’est pas parce que deux phénomènes surviennent ensemble que l’un est la cause de l’autre.
– Présenter deux alternatives possibles, ou “tout noir” ou “tout blanc” lorsqu’il peut y en avoir d’autres, par exemple considérer que l’on est soit “pro-migrant”, soit raciste.
– Croire qu’une idée est juste parce qu’une majorité de gens la partage.
– Croire qu’une idée juste est une idée “entre deux” ou “dans la moyenne”, autrement-dit, chercher le compromis plutôt que la vérité.
Par exemple : au Maroc, il y a des femmes qui vont cheveux libres, d’autres portent un voile qui couvre les cheveux, d’autres se couvrent le visage. Le “juste milieu”, pour la plupart des marocains, est donc le voile qui couvre les cheveux. Pourtant, dans d’autres cultures, la frontière de la pudeur est différente.
– Invoquer “Dieu”, “la nature”, “la détermination génétique” ou une quelconque idéologie, pour empêcher la critique. Par exemple : affirmer que les femmes ne sont pas bonnes en mathématiques, parce que c’est dans leurs gènes.
– Croire qu’une idée est vraie parce qu’elle est émise par des experts. Personne n’est infaillible, donc être expert n’affranchit pas de devoir argumenter et prouver son propos.
– Croire qu’une idée est vraie parce qu’on ne peut pas prouver son contraire. Par exemple, Dieu existe parce qu’on ne peut pas prouver qu’il n’existe pas.
– Faire d’un seul exemple une généralité.
– Présumer que l’alternative qu’on préfère est vraie lorsqu’un propos est ambigu.
– Faire appel aux émotions, par exemple utiliser le chantage sentimental ou brandir la menace d’une catastrophe.
– Répondre à une critique par une autre critique, au lieu de démonter la critique elle-même.
– Croire qu’une idée est fausse parce qu’elle utilise des arguments fallacieux. Bien que les sophismes présentés ici peuvent conduire à l’erreur, cela ne signifie pas que toutes les idées émises de la sorte sont fausses. Cela signifie qu’elles doivent être démontrées avec plus de rigueur méthodologique.
Pour étendre cette liste à l’ensemble des phénomènes pouvant empiéter un débat, citons aussi :
– Parler plus fort que son interlocuteur, et ainsi donner le sentiment à son auditoire qu’on est “le plus fort”. Cela ne signifie pas que le propos est plus pertinent.
– Les interruptions : l’interlocuteur croit connaître la fin du discours de l’autre ou bien ne se préoccupe pas de ses idées, et se permet donc de le couper. En sus de témoigner de l’agressivité, de l’arrogance et de perturber la concentration de la personne qui parle, une interruption peut donner au propos un sens tout à fait différent de celui qu’il devait avoir.
J’ai été très embarrassée un jour lorsque, dans une association féministe, j’ai voulu dire : “On fait souffrir les femmes avec des pressions idéologiques pour les empêcher d’avorter, mais et les hommes alors ? N’ont-ils pas une responsabilité dans ces drames ?”, et qu’une féministe m’a coupée après “et les homme alors ?”, pour dire qu’en effet, ce n’était pas juste pour son fils, dont les copines pouvaient se faire avorter contre son gré à lui. Les unes et les autres étaient si pressées d’exprimer leur révolte que je n’ai pas eu l’occasion de compléter mon propos.
Ces phénomènes handicapent aussi le fonctionnement d’une démocratie, puisque cette dernière s’appuie sur les débats d’idées. Les débats parlementaires et autres échanges médiatisés devraient donc idéalement être cadrés pour les éviter, par exemple, en formant les participants, en les rappelant à l’ordre, en coupant le son des microphones des autres lorsqu’une personne s’exprime, etc.
Il existe une abondante documentation sur le net concernant les sophismes / les arguments fallacieux. Voici une sélection :
“Les arguments rhétologiques fallacieux” par David McCandless
“Les Sophismes” playlist video par Sol Zanetti
“Les sophismes – En économie et en environnement” par Pierre Blackburn & Brigitte Blais (PDF)