L’apprentissage par l’action

Nous apprenons principalement en construisant des associations sur des besoins de base. Ce processus s’appelle le conditionnement. Des associations plus complexes telles que les symboles, se produisent plus tard. Les étapes du développement de l’enfant ont été étudiées par Piaget. Dans ce processus, l’action de l’enfant sur son environnement joue un rôle central.

Le conditionnement

On distingue le conditionnement classique, qui est l’apprentissage d’une association entre deux stimuli (deux sensations provoquées par l’environnement), et le conditionnement opérant (ou instrumental), qui est l’apprentissage d’une association entre un stimulus et une réponse comportementale.

Le conditionnement classique – apprendre une association entre stimuli

Le conditionnement classique fût découvert au début du siècle par Pavlov qui expérimenta sur le chien : un stimulus neutre, comme le son d’une cloche, déclenche une réponse d’orientation. Associé à un stimulus inconditionnel, comme une boulette de viande, provoquant une réponse inconditionnelle d’ordre neurovégétative, dans notre exemple une salivation, le SN acquiert au bout d’un certain nombre de répétitions de l’association une valeur de stimulus conditionnel, c’est à dire que sa présentation seule suffit à déclencher la réponse neurovégétative.
La réponse est alors appelée réponse conditionnelle. Ceci peut être résumé de la façon suivante :

1) son de cloche => orientation
2) boulette de viande + son de cloche => salivation
3) son de cloche => salivation

Le conditionnement classique modèle une perception du monde : les stimuli qui composent notre environnement, ceux qui ne sont pas ignorés par habituation (voir ci-dessous), évoquent des associations chargées émotionnellement (confiance, plaisirs, peur, malaise, colère…) auxquelles peuvent répondre des comportements appropriés (approche, évitement, agressivité…), et la relation entre stimulus et réponse est indirecte et construite.

Le conditionnement opérant – apprendre une association entre stimulus et réponse comportementale

Basé aussi sur la création d’associations stimulus-réponse, c’est le comportement du sujet qui va provoquer l’apparition d’un événement désirable (ou la disparition d’un élément indésirable). Le conditionnement opérant forge les modes d’action du sujet sur son environnement.

Par exemple, l’effort de travail d’un élève récompensé par de bons résultats scolaires peut provoquer la persévérance ou l’augmentation de son travail.
Lorsqu’il fait preuve de comportements agressifs et que cela provoque le respect de ses pairs, il est encouragé à reproduire ces comportements.

Un comportement peut être à l’inverse inhibé par l’absence de récompense ou l’apparition de punitions. Si, à l’inverse de l’exemple précédent, un comportement agressif conduit un enfant à être rejeté par ses pairs, il est incité à éviter ce comportement.

Dans toutes les formes de conditionnements, l’absence de stimulus inconditionnel ou de renforcement produit une extinction de la réponse émotionnelle ou du comportement opérant.

Les stimuli ayant valeur de renforcements, au départ primaires et communs à tous les individus, sont petit à petit différés : ils sont atteints indirectement au moyen de renforcements secondaires, particuliers à l’histoire de chaque individu, à un groupe social ou à une culture nationale. Par exemple, l’argent constitue un renforçateur secondaire car il permet l’assouvissement d’autres besoins.
Outre l’élaboration d’intermédiaires, les relations stimulus-réponses sont par nature mouvantes aux expériences, elles se généralisent aux stimuli analogues ou co-occurrents, ou au contraire s’affinent : un composant du stimulus seulement reste renforcement ou punition après que d’autres stimuli similaires n’ayant pas ce composant n’aient pas été suivis des mêmes effets.
Les associations se complexifient, et les perceptions et comportements résultants de conditionnements antérieurs préparent les associations futures, comme un réseau qui se développe et reste ouvert.

Une question peut se poser à la lecture des recherches le conditionnement : quelle est la nature des besoins primaires auxquels se greffent les renforcements secondaires et comportements ?

Les études sur la motivation proposent des théories sur besoins fondamentaux :
– Les besoins physiologiques : l’expérimentation animale dans les recherches béhavioristes utilisent fréquemment la faim et l’évitement de la douleur.
– Les besoins sociaux : notamment l’attachement (Bowlby), la tendresse (Harlow), l’affiliation (résultant du phénomène d’empreinte décrit par Konrad Lorenz). Nous pouvons penser que pour être satisfaits ces besoins vont conduire par conditionnement à l’élaboration de certains comportements et d’une réceptivité adaptés à notre entourage relationnel et aux convenances sociales. Ainsi des renforcements secondaires apparaissent, telle l’estime qui permet une affiliation au groupe social.
– Les besoins cognitifs : ont été identifiés les besoins d’exploration (Butler), de manipulation (Harlow), et la curiosité, qui, selon Berlyne, se décompose en besoins de nouveauté, de complexité, d’incongruité et de conflit.

Abraham Maslow propose de hiérarchiser les besoins humains selon une pyramide, avec l’idée que chaque niveau de besoin ne peut être satisfait que si les précédents le sont :

Pyramide de Maslow
Pyramide de Maslow

L’habituation et la sensibilisation

L’habituation

Nous sommes soumis en permanence à une quantité illimitée d’informations. Or, afin de conserver une certaine stabilité cognitive (ou de respecter la vitesse de développement des structures cognitives), il nous faut pouvoir discriminer les stimulations pertinentes du “bruit de fond” continu de notre environnement.
L’habituation joue ce rôle : la présentation d’un stimulus provoque une réaction d’orientation (fixation visuelle du stimulus) et sa répétition est suivie d’une baisse progressive du temps de fixation du regard sur le stimulus jusqu’à la disparition de la fixation.
L’habituation se distingue de la fatigue musculaire ou de l’adaptation sensorielle par le fait qu’elle est une réponse spécifique à un stimulus.
Comme les réponses conditionnées, l’habituation se généralise ou au contraire se précise par rapport à des stimuli présentant des caractéristiques communes. L’habituation peut aussi s’éteindre, il s’agit de :
– La déshabituation si un stimulus nouveau est présenté presque en même temps qu’un stimulus auquel le sujet a été habitué.
– La récupération spontanée si l’intervalle entre chaque présentation d’un même stimulus est relativement long.

L’habituation est un instrument puissant pour conserver l’inertie des foules. Elle est utilisé notamment par le gouvernement pour faire tolérer par petites quantités progressives des mesures impopulaires (augmentation d’impôts, baisse de subventions…).

Pareillement, l’image dégradantes des femmes dans les fictions (présentées comme moins intelligentes, plus superficielles et moins courageuses que les hommes), par leur caractère systématique, ne suscitent plus l’attention, elles deviennent inconscientes et donc les biais qu’elles induisent dans nos jugements sont plus difficiles à isoler et à contrôler.

La sensibilisation

La sensibilisation est provoquée par la présentation d’un stimulus attractif, suffisamment souvent pour être mémorisé, mais pas assez souvent pour causer de l’habituation. Une sensibilisation apparaît lorsque le stimulus créé ou augmente un besoin ne pouvant être satisfait que par appropriation de la source.

La publicité s’appuie sur la sensibilisation : un besoin est créé par la présentation répétée d’un produit et des avantages qu’il procure. Le besoin ne peut être satisfait que par l’achat du produit.

Les associations complexes

Alors que les associations se complexifient, des généralités se dégagent. Elles vont fonder le raisonnement abstrait, qui s’accompagne ou non de symboles.

Selon le courant constructiviste qu’a fondé Jean Piaget, c’est l’action de l’enfant sur son environnement qui va l’amener à construire un savoir de plus en plus abstrait. En mettant l’accent sur l’action de l’enfant, Piaget formule implicitement une critique sur la dispense du savoir de façon académique, du moins chez les plus jeunes enfants.

L’apprentissage devrait partir du concret vers l’abstrait, en laissant l’enfant manipuler les objets rattachés aux concepts qu’elle ou il doit apprendre.

Cette conception de l’apprentissage avait déjà été formulée, quelques années auparavant, par Maria Montessori.

Les observations faites par Piaget d’enfants à différents âges lui ont permit de définir les phases suivantes (j’utilise la forme féminine pour éviter de surcharger le texte de “elle/il” ou “il/elle”) :

– De 0 à 2 ans, l’enfant est dans la phase sensori-motrice : elle apprend par essais et par erreurs la relation entre ce qu’elle fait et ce qu’elle ressent (relation décrite aussi plus haut dans “le conditionnement opérant”). A la fin de ce stade, elle est consciente de “la permanence de l’objet”, c’est à dire que l’objet continue d’exister même si elle ne le perçoit plus
Exemple : lorsqu’on cache un jouet sous un linge, le bébé de 8 mois cesse de le regarder. Lorsqu’il est un peu plus âgé, il soulève le linge pour retrouver le jouet.

– De 2 à 6-7 ans, l’enfant est dans la phase pré-opératoire : elle apprend à parler, donc à associer des choses à des symboles. Elle apprend progressivement les notions de quantité, d’espace, de temps, mais reste essentiellement ancrée dans l’expérience immédiate. Elle ne voit pas le point de vue d’autrui comme différent du sien.
Exemple : lorsqu’une enfant de 4 ans voit la même quantité d’eau versée dans des vases de formes différentes, elle dit qu’il y a plus d’eau là où elle voit le niveau de l’eau le plus élevé.

– De 6-7 ans à 11-12 ans, c’est la phase des opérations concrètes : l’enfant est capable d’apprendre des mathématiques. Mais les raisonnement logiques restent en relation avec le concret.
Par rapport à l’exemple précédent, l’enfant est désormais capable de dire qu’il y a en fait autant d’eau dans chacun des vases. Mais si on lui fait construire, avec des cubes, une tour sur une surface étroite, qui ait le même volume qu’un tour construite sur une surface plus large, elle réalise un montage approximatif avec des tentatives de calculs erronées.

– De 11-12 ans à 14 ans, l’enfant est dans le stade des opérations formelles : elle devient capable de réfléchir sur des questions morales et philosophiques.
L’enfant peut construire la tour de l’exemple précédent en calculant précisément le nombre de carrés nécessaires pour obtenir le même volume.

Les observations de Piaget furent critiquées, car l’enfant pourrait ne pas comprendre certaines question en raison d’immaturité verbale, et non pas conceptuelle. Des expériences de Markman (1979), entre autres, montrent que les enfants sont capables de reconnaître des égalités de quantités malgré des dispositions spatiales différentes, à un âge plus précoce que celui observé par Piaget.

Piaget note aussi deux processus distincts dans l’apprentissage : l’assimilation et l’accommodation. Dans le premier cas (assimilation), le sujet interprète et retient les informations en provenance de l’environnement, en fonction de ses connaissances existantes. Dans le second cas, l’accommodation, le sujet remet en cause ses connaissances et donc ses interprétations futures, en fonction des nouvelles informations fournies par l’environnement.
L’accommodation implique une plus grande flexibilité mentale, donc un plus grand effort intellectuel.

Les connaissances existantes influent donc sur la capacité à acquérir de nouvelles connaissances : respectant un principe d’économie d’effort, nous sommes plus perméables à l’acquisition d’information qui sont cohérentes avec ce que nous connaissons déjà, plutôt que changer certaines choses qui ne croyons connaître pour tenir compte des nouvelles informations.

Ce phénomène contribue à expliquer le maintien de préjugés ou de connaissances académiques obsolètes par les institutions scolaires et universitaires, par exemple.
Cela explique aussi pourquoi nous avons le sentiment d’apprendre moins à l’âge adulte. Étant enfant, le besoin de nous adapter pour apprendre à survivre est évident. Mais lorsque nous sommes entrés dans une situation professionnelle et familiale relativement stable, ce besoin est moins fort, donc la tendance naturelle à minimiser l’effort est prévalent, et nous nous contentons d’assimiler sans remettre en cause nos schémas de pensées.

La capacité d’accommodation peut toutefois revenir lors d’une remise en cause de la situation professionnelle ou familiale, ou lors d’une expatriation impliquant la nécessité de s’adapter à une culture et une langue étrangère, ou encore, lorsque nous avons une motivation particulière à apprendre quelque chose de totalement nouveau.

Les études les plus récentes qui témoignent de l’importance de l’action de l’enfant sur son environnement et de la nécessité de pédagogies personnalisées sont l’objet du documentaire “Demain, l’école” par Frédéric Castaignède, 2017.

Effet de l’éducation sur le genre sexuel

Lorsque le bébé naît, son système nerveux est peu développé. Il va grandir rapidement en fonction des premières expériences qui se présentent à lui.

Échantillon de réseau neuronal du bébé de 0 à 24 mois
Échantillon de réseau neuronal du bébé de 0 à 24 mois

Des observations effectuées dans le foyer d’enfants de moins de 6 ans ont montré que les parents stimulent leur fille à prendre soin de leur habillement, à danser, jouer avec des poupées, mais la surveillent lorsqu’elle manipule des objets, coure, saute et grimpe. Par contraste, les parents encouragent leur garçon à jouer aux cubes mais le critiquent dès qu’il joue aux poupées, demande de l’aide, ou même lorsqu’il se porte volontaire pour aider (Fagot, 1978). Les parents ont tendance à demander plus d’indépendance des garçons et ont plus d’attentes vis à vis d’eux, ils répondent aussi moins rapidement à leurs demandes d’aide et les concentrent moins sur les aspects interpersonnels d’une tâche. Enfin, les parents punissent verbalement et physiquement leur fils plus souvent que leur fille (Maccoby et Jacklin, 1974).

Jouets "de garçon"
Jouets "de fille"

Certains ont suggéré qu’en réagissant différemment avec les filles et les garçons, les parents n’imposent pas nécessairement leurs propres stéréotypes mais réagissent simplement à de réelles différences innées entre les comportements des deux sexes (Maccoby, 1980).
Pourtant, d’autres expériences montrent que les adultes approchent les enfants avec des attentes stéréotypées qui les amènent à traiter les garçons et les filles différemment, et ce, dès la naissance.
Dans une de ces expériences, des étudiants regardent une cassette vidéo d’un bébé de 9 mois montrant une forte mais ambiguë réaction émotionnelle devant un diable en boîte. La réaction est plus souvent étiquetée comme étant de la colère quand le bébé est présenté comme un garçon, et de la peur quand le même bébé est présenté comme une fille (Condry et Condry, 1976). Dans une autre étude, quand un enfant est appelé David, il est considéré en des termes plus durs par les sujets que lorsque le même enfant était appelé Lisa (Bern, Martina et Watson, 1976).

Les pères apparaissent plus concernés par le comportement sexué que les mères, particulièrement avec leur fils. Ils tendent à réagir plus négativement que les mères (en interférant dans le jeu de l’enfant ou en exprimant une désapprobation) quand leur fils joue à des jouets “de filles”. Les pères sont moins préoccupés quand leur fille s’engage dans des jeux “masculins”, mais montrent tout de même plus de désapprobations que les mères (Langlois et Downs, 1980).

Mais si les parents et les autres adultes traitent les enfants de manière stéréotypée, les enfants eux-mêmes sont très sexistes. Le groupe des pairs renforce les stéréotypes bien plus sévèrement que les parents. Ainsi les parents qui tentent d’exclure les stéréotypes dans l’éducation de leur enfant – en encourageant l’enfant à s’engager dans une large panoplie d’activités sans les étiqueter de féminines ou masculines, ou en jouant des rôles non traditionnels à la maison – sont souvent déconcertés de voir leurs efforts détruits par la pression des pairs. Ceux-ci sont rapides à se moquer d’un garçon qui joue avec des poupées, pleure lorsqu’il est blessé, ou se montre tendrement concerné par la détresse d’un autre enfant. A l’inverse, les filles ne semblent pas s’opposer lorsque d’autres filles s’engagent dans des jeux dits “masculins” (Longlois et Down, 1980).

Ceci dénonce un phénomène général : les tabous dans notre culture contre les comportements féminins chez les garçons sont plus forts que ceux contre les comportements masculins chez les filles. Etre un garçon “efféminé” est beaucoup moins acceptable qu’être une fille “masculine”. Les garçons de 4-5 ans sont plus susceptibles d’essayer des jouets et des activités “de filles” (tels qu’une poupée, un rouge à lèvre et un miroir, du matériel de coiffure…) lorsque personne ne les regarde, qu’en présence d’un adulte ou d’un autre garçon. Pour les filles, la présence d’un témoin fait peu de différence dans leur choix de jouets ou d’activités (Kobasigawa, Arakaki et Awiguni, 1966 ; Hartup et Moore, 1963).

Les études décrites ci-dessus proviennent d’un ouvrage publié en 1996 aux USA “Hilgard’s introduction to psychology”, 12e edition, de Rita L. et Richard C. Atkinson, Edward E. Smith, Daryl J. Bem et Susan Nolen-Hoeksema.

Publicité d'un magasin suédois: un petit garçon au milieu de toutes sortes de jouets
Publicité d’un magasin suédois: un petit garçon au milieu de toutes sortes de jouets

Le Monde Diplomatique expose une série d’études publiées dans le numéro “Femmes, le mauvais genre ?” de la collection “Manière de voir” de mars-avril 1999. L’article d’Ingrid Carlander “Une peur irraisonnée des sciences” décrit des observations par caméras cachées qui révèlent que les professeurs de sciences consacrent davantage de temps aux garçons, de l’ordre de 20%. Manuels et problèmes se réfèrent fréquemment aux centres d’intérêts considérés comme “masculins”. Les filles sont moins souvent interrogées et, si elles le sont, elles se voient fréquemment interrompues. Le professeur a tendance à encourager les filles pour leur bonne conduite ou la propreté de leur copie ; les garçons, pour la justesse de leur raisonnement.

Verena Aebischer dans “Les processus de construction identitaire chez les filles” (1991), cite des observations réalisées dans des classes d’école : les enseignants sollicitent bien plus souvent la participation des garçons que celle des filles (Guibert, 1987 ; Valabrègue, 1989), leur font d’avantage confiance dans les matières scientifiques et techniques (Marquès, 1990), leur adressent la parole plus fréquemment (Milner, 1989) et s’intéressent d’avantage à ce qu’ils font.