Les sophismes

Le travail collectif, le débat d’idées, la pensée philosophique ou le progrès des sciences humaines, sont couramment perturbés par des erreurs logiques que l’on appelle “sophismes”, ou encore “arguments fallacieux”.

Voici une liste non exhaustive :

Attaquer la personne plutôt que les idées.

Déformer les propos de l’autre pour l’attaquer.

Confondre corrélation et causalité : ce n’est pas parce que deux phénomènes surviennent ensemble que l’un est la cause de l’autre.

Présenter deux alternatives possibles, ou “tout noir” ou “tout blanc” lorsqu’il peut y en avoir d’autres, par exemple considérer que l’on est soit “pro-migrant”, soit raciste.

Croire qu’une idée est juste parce qu’une majorité de gens la partage.

Croire qu’une idée juste est une idée “entre deux” ou “dans la moyenne”, autrement-dit, chercher le compromis plutôt que la vérité.
Par exemple : au Maroc, il y a des femmes qui vont cheveux libres, d’autres portent un voile qui couvre les cheveux, d’autres se couvrent le visage. Le “juste milieu”, pour la plupart des marocains, est donc le voile qui couvre les cheveux. Pourtant, dans d’autres cultures, la frontière de la pudeur est différente.

Invoquer “Dieu”, “la nature”, “la détermination génétique” ou une quelconque idéologie, pour empêcher la critique. Par exemple : affirmer que les femmes ne sont pas bonnes en mathématiques, parce que c’est dans leurs gènes.

Croire qu’une idée est vraie parce qu’elle est émise par des experts. Personne n’est infaillible, donc être expert n’affranchit pas de devoir argumenter et prouver son propos.

Croire qu’une idée est vraie parce qu’on ne peut pas prouver son contraire. Par exemple, Dieu existe parce qu’on ne peut pas prouver qu’il n’existe pas.

Faire d’un seul exemple une généralité.

Présumer que l’alternative qu’on préfère est vraie lorsqu’un propos est ambigu.

Faire appel aux émotions, par exemple utiliser le chantage sentimental ou brandir la menace d’une catastrophe.

Répondre à une critique par une autre critique, au lieu de démonter la critique elle-même.

Croire qu’une idée est fausse parce qu’elle utilise des arguments fallacieux. Bien que les sophismes présentés ici peuvent conduire à l’erreur, cela ne signifie pas que toutes les idées émises de la sorte sont fausses. Cela signifie qu’elles doivent être démontrées avec plus de rigueur méthodologique.

Pour étendre cette liste à l’ensemble des phénomènes pouvant empiéter un débat, citons aussi :

Parler plus fort que son interlocuteur, et ainsi donner le sentiment à son auditoire qu’on est “le plus fort”. Cela ne signifie pas que le propos est plus pertinent.

Les interruptions : l’interlocuteur croit connaître la fin du discours de l’autre ou bien ne se préoccupe pas de ses idées, et se permet donc de le couper. En sus de témoigner de l’agressivité, de l’arrogance et de perturber la concentration de la personne qui parle, une interruption peut donner au propos un sens tout à fait différent de celui qu’il devait avoir.
J’ai été très embarrassée un jour lorsque, dans une association féministe, j’ai voulu dire : “On fait souffrir les femmes avec des pressions idéologiques pour les empêcher d’avorter, mais et les hommes alors ? N’ont-ils pas une responsabilité dans ces drames ?”, et qu’une féministe m’a coupée après “et les homme alors ?”, pour dire qu’en effet, ce n’était pas juste pour son fils, dont les copines pouvaient se faire avorter contre son gré à lui. Les unes et les autres étaient si pressées d’exprimer leur révolte que je n’ai pas eu l’occasion de compléter mon propos.

Ces phénomènes handicapent aussi le fonctionnement d’une démocratie, puisque cette dernière s’appuie sur les débats d’idées. Les débats parlementaires et autres échanges médiatisés devraient donc idéalement être cadrés pour les éviter, par exemple, en formant les participants, en les rappelant à l’ordre, en coupant le son des microphones des autres lorsqu’une personne s’exprime, etc.

Il existe une abondante documentation sur le net concernant les sophismes / les arguments fallacieux. Voici une sélection :
“Les arguments rhétologiques fallacieux” par David McCandless
“Les Sophismes” playlist video par Sol Zanetti​
“Les sophismes – En économie et en environnement” par Pierre Blackburn & Brigitte Blais (PDF)

Les symboles

La vie contemporaine nous a progressivement éloigné de la réalité sensorielle en la replaçant par des réalités symboliques, qui ont du sens pour la communauté humaine. Ce faisant, cette dernière nous enferme dans sa comédie.

Les symboles réalisent une association entre des éléments de la réalité et une manière simplifiée de les représenter, comprise par les autres.
Il peut s’agir du langage, sous forme orale et écrite, des mathématiques, des algorithmes de programmation, etc.

Les symboles nous permettent de communiquer avec notre prochain, et notre prochain est source d’attachement et de survie. Pour cette raison, les symboles prennent une importance telle qu’ils en viennent à supplanter et atrophier la réalité sensorielle.

Autrement-dit, ils sont aussi sources d’une certaine forme d’aliénation. L’enfant s’éloigne progressivement de son intelligence animale, son imprégnation sensorielle totale, pour une réalité symbolique qui simplifie la réalité dans un schéma compris par l’espèce humaine.

L’importance du verbe dans les édifices d’espoirs et de peurs de l’humanité que sont les religions est emblématique de son pouvoir, particulièrement dans les religions basées sur l’écriture que sont les religions Abrahamiques.

La Bible et la Torah nous enseignent que tout commence par une parole divine :

Dieu dit: “Que la lumière soit!” Et la lumière fut.
La Bible, Ancien Testament, Génèse, 1:3

Saint-Jean est plus explicite. Il affirme :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.
La Bible, Nouveau Testament, Evangile de St Jean, 1:1

Le Coran nous dit :

C’est le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute, c’est un guide pour les pieux.
Le Coran, Al Baqarah (La vache) 2:2

Autrement dit, la vérité est contenue dans un livre, dans des mots.

Pourtant, le verbe est une invention récente, apparu avec notre espèce, c’est-à-dire il y a quelques centaines de milliers d’années. C’est une goutte d’eau dans l’océan du temps cosmique. Une goutte d’eau dans l’histoire de la nature elle-même, âgée de plusieurs centaines de millions d’années, si l’on en croit les scientifiques.

Le Tao-Te-Ching est plus prudent. Le mot Tao désigne « la voie ». Le Tao Te Ching peut-être traduit par « Le livre de la voie et de la vertu », ou encore « Le livre de la voie vertueuse ».
Les plus vieux fragments de ce récit ont été datés au 3e siècle avant notre ère, mais certains pensent que la philosophie qu’il décrit est beaucoup plus ancienne.

Le Tao Te Ching nous dit :

La voie qui peut être dite n’est pas la voie éternelle.
Tao Te Ching, chap. 1

Qu’est-ce donc que le verbe ?

Je propose la définition suivante : le verbe est un ensemble de symboles, qui représente chacun un aspect redondant de la réalité. Le symbole est un élément graphique ou sonore. L’humanité utilise ces symboles pour communiquer avec son prochain et réaliser des prédictions, afin de prendre le contrôle de la nature.

Mais la perfection de nos symboles n’existe pas dans la réalité. Un rond parfait n’existe pas, un chat ne ressemble jamais parfaitement à un autre, un et un font deux dans la réalité si les deux unités sont parfaitement égales, ce qui n’est jamais vrai. La réalité n’est pas dans les concepts. La réalité n’est pas dans le verbe. La réalité est impure, chaotique.

Nous pouvons nous souvenir ou fouiller le passé à la manière d’archéologues, ou bien nous projeter dans l’avenir, nous n’en tirons que des idées. La réalité est sensorielle. Même si nos sens sont limités, ils nous offrent une réalité plus fiable que nos concepts, qui eux sont toujours trop simples, trop parfaits.

Certaines personnes réalisent ce qu’elles perdent dans le processus de remplacement de la réalité sensorielle par une réalité symbolique ou virtuelle, et il leur faut une grande pratique de l’art, de la méditation, ou de la musique, pour retrouver un peu de la béatitude du bébé, tout entier livré à ses sens, aussi confiant dans le ventre de la nature que dans le ventre de sa mère.

La science, qui décortique les éléments de la nature en les décrivant au moyen de symboles, nous coupe des merveilles de la réalité, qui pourtant pourrait être présentée en même temps que les schémas enseignés sur les bancs de l’école.

Combien savent que les protéines, les ouvrières de nos cellules, dont on schématise la structure, comme toutes les molécules, au moyen de boules colorées pour les atomes, retenues par des bâtons, peuvent se joindre pour former une structure qui se plie plusieurs fois sur elles-mêmes pour atteindre des formes complexes adaptées à leur fonction, parfois même de micro-moteurs capable de mouvoir une flagelle ? Et lorsque ces protéines sont concentrées à l’état pur, elles s’agglomèrent pour former de superbes structures cristallines reflétant la lumière sur une multitude de couleurs ?

Cristaux de protéines
Cristaux de protéines.
Source : blog des étudiants de l’Orégon

Pour figurer une cellule, on représente un patate pour la membrane, avec dedans un rond pour le noyau, des boudins ridés pour les mitochondries, des boudins longilignes pour l’appareil de Golgi, des bâtons pour les protéines, etc…

Mais lorsqu’on observe des organismes unicellulaires au microscope, on est émerveillée par la beauté et la complexité de ces délicats édifices.

Nous ne jurons plus que par la science, au point de voir d’anciens rituels comme étant d’archaïques superstitions. Par exemple, dans les campagnes françaises, on avait coutume de faire des bouquets avec des épis de blé lors de la fête de la moisson, et de les suspendre dans les maisons pour apporter la prospérité. Ces rituels révèlent autant que maintiennent l’attachement à la terre.

Makilam, dans “La magie des femmes Kabyles et l’unité de la société traditionnelle” décrit la perception des cycles de la nature pour le peuple Kabyle du temps de sa grand-mère :

Aujourd’hui, “l’homme moderne” peut se distancier par rapport au macrocosme et le considérer de l’extérieur. Il peut en effet grâce à la logique de sa pensée graphique et rationnelle s’abstraire et se projeter en dehors du système solaire. […] Mais les peuples de la nature ne raisonnaient pas, ils vivaient à partir d’eux-mêmes et se référaient à ce qu’ils voyaient et percevaient dans l’ensemble de leurs sens, à l’encontre de « l’homme moderne » qui a fait siennes les lois de la science rationnelle. Dans son raisonnement, celui-ci se dissocie de lui-même en tant qu’entité corporelle quand il ne perçoit la réalité que par la pensée. Il ne vit ainsi qu’un aspect de sa nature humaine puisqu’il se projette mentalement en dehors de l’endroit et du moment précis dans lequel il se trouve. En conséquence le calendrier écrit ne reproduit plus le temps sidéral car il ne se lit plus dans le ciel. Cette nouvelle forme de pensée linéaire implique la séparation de la personne humaine du reste de la nature terrestre dont elle ne dépend plus pour l’organisation de ses activités matérielles. Sur le plan de la conscience, l’être humain d’aujourd’hui se perçoit comme séparé de la vie de la Grande Nature et vit en permanence la dualité de sa nature par rapport à la vie d’ensemble cyclique de son environnement.

L’enfant qui n’a pas encore acquis la parole est sans doute dans cet état de perception du réel non effacé derrière des concepts, celui qui fut le nôtre à l’aube de l’humanité.
Quand on est petit, on voit des quantités au lieu de les compter. On observe la réalité au lieu de la concevoir. Une table en bois n’est pas une table en bois pour un bébé. C’est une montagne plate avec au-dessus un univers de rayures et d’ellipses sur différentes nuances de brun.

Alors qu’il y a très longtemps, l’humanité quittait le règne animal en acquérant une conscience angoissée de sa mortalité inexorable, alors qu’elle peignait la vie animale sur les parois des grottes et taillait des corps maternelles, avant que l’art, la technique, l’exploration, ne soient réservés à une élite masculine, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, nous vivions davantage sur une réalité sensorielle, immédiate. Nous n’avions pas d’autre choix car nous guettions le danger et affrontions l’adversité. Nous n’apprenions pas tant de concepts, dont les préjugés font partie. Nous étions plus instinctifs. Nos pensées étaient plus teintées de sensations. Seule la nature, bien plus belle et variée qu’aujourd’hui, s’offrait à nos sens.

Petit à petit, le verbe et autres projections mentales ont remplacé la réalité sensorielle, pour l’humanité en évolution comme pour l’enfant qui apprend à parler. Car le verbe nous permet de communiquer avec nos semblables, et rien n’est plus important qu’eux. Beaucoup de nos projections mentales non verbales sont aussi en rapport avec les autres. Ils sont notre garantie de survie. Mais comme ces symboles nous coupent de la réalité, notre prochain devient encore plus important, car il devient notre source de satisfaction principale.

Ainsi, la réalité a petit à petit laissé place à une pièce de théâtre bien prévisible, avec soi comme acteur principal, dont les scènes et les rôles sont toujours les mêmes, et dont le public n’est que soi-même. Nous nous sommes éloignés de notre condition d’animal en perdant une grande partie de notre attache sensorielle. Nous nous sommes éloignés de l’élan de vie qui nous a fait naître, la matrice originelle, la nature.
Dans la redondance de notre pièce de théâtre, notre esprit meurt.

Nous sommes coincés comme des poules en cage, dans un bureau, un appartement, une voiture ou autre moyen de transport, des tunnels de béton gris et de macadam. La grisaille de nos murs s’accompagne de celle de nos sons, ceux des voitures, des travaux… des bruits de nous-mêmes, murmurés à la télé, autour de nous, et en cycle infernal dans notre esprit. Les odeurs et saveurs sont devenues tout aussi grises, aseptisées de pesticides, engrais, hormones, souffrance animale, des pauvres, de la Terre.

Dans la préhistoire, bien que nous devions parfois souffrir physiquement, nos sens étaient en alerte et nous luttions pour survivre. Nous avions la rage au ventre. Désormais, coincés dans nos cages, nous donnons des coups de bec dans les cages d’à côté.

Lorsque nous vivions dans des cavernes, nous devions compter les uns sur les autres. Mais maintenant, nous sommes enfermés dans la comédie sinistre des gens déguisés, et c’est ce déguisement qui détermine le confort apporté par les autres.

Nous sommes aliénés. Nous avons perdu le sens de notre vie. Nous avons perdu nos instincts.

L’influence des préjugés

Dans tous les domaines scientifiques, les préjugés peuvent affecter la perception de la réalité.

Lorsque j’étais au lycée, j’avais un professeur de mathématiques particulièrement sexiste. Il nous disait que les femmes étaient plutôt douées pour les lettres, et les hommes pour les mathématiques. Il y croyait si fort, qu’un jour, il a fait une erreur de calcul en comptant mes points sur une copie : il m’avait mis 8 au lieu de 14 / 20. J’ai compté les points devant lui, et il a dû se plier à l’évidence, ce qui l’a mis très en colère.

Les préjugés sexistes influent aussi la manière de percevoir les objets d’étude, lorsque ceux-ci ont rapport au vivant, donc à des êtres sexués. Cela est particulièrement notable dans l’étude du monde animalier, l’Histoire et l’archéologie.

Les observations animalières

L’organisation sociale animale est souvent décrite par projection de nos modes de vie. Finalement, les documentaires animaliers en disent plus sur nos préjugés et nos aspirations narcissiques, que sur les animaux eux-mêmes. A ce biais s’ajoute le besoin de rendre l’image commercialement attractive.

Le mythe du mâle dominant

Dans les groupes d’animaux où une compétition belliqueuse entre mâles existe, on observe qu’il y a, de ce fait, des groupes avec un nombre plus important de femelles que de mâles. Parfois il n’y a qu’un seul mâle, ou bien un seul des mâles peut s’accoupler avec les femelles. Les commentateurs en déduisent qu’il s’agit du “mâle dominant” et de son “harem”. Mais par cette expression “mâle dominant”, on pourrait comprendre qu’il domine aussi les femelles. Peut-être est-ce le cas chez certains de nos proches cousins primates, mais les choses semblent moins évidentes au sujet d’autres espèces telles que, par exemple, les cervidés, les bovins, les loups, les éléphants ou les félins. Le mâle restreint t’il l’espace des femelles, contrôle t’il leurs actions, comme le fait un homme qui dispose d’un harem d’épouses ? Est-il violent envers les femelles comme il l’est avec d’autres mâles ? Par ailleurs, peut-on parler de harem si les femelles s’accouplent parfois avec d’autres mâles, comme on le voit souvent dans ces groupes ?

Un lion avec son harem, ou des lionnes avec leur reproducteur ?
Un lion avec son harem, ou des lionnes avec leur reproducteur ? Photo de Brian Scott

En observant, par exemple, une meute de lionnes avec un lion, on pourrait aussi changer de perspective et se dire qu’il s’agit d’un groupe de lionnes qui se partagent un mâle, qui est peut-être choyé parce qu’il est unique, mais qui ne les domine pas pour autant.

Les choses peuvent être différentes, cependant, lorsque les animaux sont dans une situation anxiogène, comme le fait de vivre en cage. La promiscuité, le manque de stimulations sensorielles, le manque d’espace pour s’ébattre, induisent des comportements agressifs, chez les animaux comme chez les humains, mâles ou femelles. Dans ce cas, les plus forts ont un avantage, ce qui est le cas des mâles dans certaines espèces.

Le mythe du mâle protecteur

On a coutume de dire que le mâle protège la ou les femelles du troupeau. Mais au contraire, il est bien souvent une menace pour les petits. La femelle doit lutter contre lui ou l’amadouer par le sexe, particulièrement parmi les mammifères pratiquant une compétition entre mâles.

Combat de babouins
Combat de babouins. Photo d’Elise Huchard.
Source : “Females protect offspring from infanticide by forcing males to compete through sperm instead of violence” (Des femelles protègent leurs petits en forçant les mâles à s’affronter par le sperme au lieu de la violence) par Dieter Lukas

Il y a des exceptions toutefois : lorsque le mâle endosse un rôle nourricier (par exemple, l’albatros). Alors il devient une seconde “mère” et protège les petits et le territoire avec elle.

Le besoin de vendre

Afin d’offrir du sensationnel, on voit surtout des scènes de prédations et de combats entre mâles. Or ces activités ne constituent pas l’essentiel du temps animal. Ceux-ci, mâles ou femelles, passent aussi du temps à explorer, se reposer, se nettoyer, mâcher des plantes, jouer, s’entraider ou se faire des câlins. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux nous offrent une vision bien différente du monde animal :
Quelques scènes de tendresse animale, partagée par Animals Australia.
Entre-aides animales, compilation de plusieurs vidéos amateurs.
Attachement humains – animaux chez des chasseurs cueilleurs (tribu amazonienne des Awas), par Survival International.

Finalement, les documentaires animaliers les plus honnêtes sont ceux qui ne s’accompagnent d’aucun commentaire, d’aucune musique autre que celle de la nature elle-même, et qui offre des scènes fidèles au quotidien animal, afin de laisser à celles et ceux qui ont la joie de découvrir ces enregistrements le bonheur d’observer et d’entendre la nature telle qu’elle nous est offerte.

L’Histoire et l’archéologie

Merlin Stone, dans son œuvre “Quand Dieu était femme”, a analysé de nombreux écrits sur la foi païenne qui a précédée les religions Abrahamiques, particulièrement celle qui se tournait vers une image féminine du divin. Elle écrit :
Dans la plupart des textes archéologiques, la religion de la femme est définie comme “un culte de la fertilité”. Ce terme est révélateur des attitudes adoptées face à la sexualité par les différentes religions contemporaines qui ont influencé les auteurs de ces textes. Pourtant l’archéologie et l’histoire fournissent des preuves de l’existence d’une divinité féminine, créatrice et ordonnatrice de l’univers, prophétesse, maîtresse de la destinée humaine, inventrice, guérisseuse, chasseresse et combattante courageuse, autant de preuves qui indiqueraient que le terme “culte de la fertilité” ne serait qu’une grossière simplification d’une structure théologique complexe.

Riane Eisler, auteure de “Le calice et l’épée” tente, elle aussi, une interprétation du nombre abondant de figurines féminines que l’on retrouve dans les vestiges du Néolithique et de l’Antiquité, particulièrement en Europe et au Moyen Orient. Elle s’interroge pareillement sur le choix du terme “culte de fertilité” employé par les archéologues. Elle note que ce terme est probablement aussi réducteur que le fait de qualifier les crucifix chrétiens de “culte de la mort”, si ceux-ci s’avéraient être découvert dans le futur par une humanité qui a oublié la religion chrétienne.

Les académiciens ont régulièrement fait référence au culte de la déesse, non pas en tant que religion, mais en tant que “culte de la fertilité” et à la déesse en tant que “mère de la terre”. Mais si la fécondité des femmes et de la terre était, et est toujours, une condition requise pour la survie des espèces, cette description est beaucoup trop simpliste. Ce serait comparable, par exemple, à qualifier le christianisme de simple culte de la mort parce que l’image centrale de son art est la crucifixion.
Riane Eisler, “Le calice et l’épée”, 1987

Merlin Stone donne d’autres exemples flagrants d’observations altérées par les préjugés de genre sexuel :

J. Maringer, professeur d’archéologie préhistorique, rejetait l’hypothèse selon laquelle les crânes de rennes constituaient les trophées de chasse des tribus paléolithiques, et pour cause, on en avait trouvé dans la tombe d’une femme. “Le squelette en question étant celui d’une femme, cela semble éliminer la possibilité que ces crânes et ces bois de rennes aient pu être des trophées de chasse”, écrit-il.
[…]
Le professeur Walter Emery, qui avait participé aux fouilles des plus anciennes tombes égyptiennes, décrivit en 1961 une série d’erreurs qui avaient été commises à l’époque. “L’âge et le statut de Meryet-Nit sont incertains, nous dit-il, mais nous avons des raisons de croire qu’elle aurait pu succéder à Zer et être la troisième souveraine de la Première Dynastie”. Il continue en parlant de la fouille de la tombe de Meryet-Nit par Flinders Petrie en 1900: “A cette époque, on croyait que Meryet-Nit était un roi, mais des recherches ultérieures prouvèrent que ce nom était celui d’une femme et, à en juger d’après la richesse de la tombe, d’une reine…”. En 1896, Morgan, alors directeur du département des Antiquités, découvrit à Nagadesh une gigantesque tombe. D’après les objets qu’on y trouva, elle fut identifiée comme la demeure funéraire de Hor-Aha, premier roi de la Première Dynastie. Toutefois, la poursuite des recherches a montré qu’il s’agissait plutôt du sépulcre de Nit-Hotep, mère de Hor-Aha. Et toujours d’après W. Emery: “Sur la masse de Narmer, il y avait un personnage assis dans un palanquin recouvert d’un dais. On le prit d’abord pour un homme, mais en le comparant avec des figures semblables trouvées sur une planchette de bois à Sakkara, il apparut qu’il s’agissait presque sans aucun doute d’une femme”. Pourtant, après avoir rejeté les vieilles hypothèses selon lesquelles les tombes les plus riches et les palanquins royaux ne pouvaient appartenir qu’aux hommes, ce même auteur retombe dans le même type de raisonnement lorsqu’il décrit la tombe du roi Narmer: “Ce monument est presque insignifiant, comparé à la tombe de Nit-Hotep à Nagadesh. Nous pouvons seulement en déduire que ce n’est là que la chambre funéraire méridionale du roi et que son véritable tombeau reste encore à découvrir…”. Bien que certains pharaons se soient fait construire deux tombeaux, on aurait pu s’attendre à un “peut-être” ou à un “probablement” plutôt qu’à une conclusion aussi absolue, qui exclut implicitement la possibilité qu’une tombe de reine, à l’époque de la Première Dynastie, ait pu être plus grande et plus richement décorée que celle d’un roi.

L’actualité archéologique surprend par le nombre d’erreurs de ce type, révélées par les méthodes modernes d’analyse.

Le Palais de Knossos en Crète en est un autre exemple. Les vestiges révèlent de nombreuses fresques qui, dans leur reconstitution, montrent des êtres humains, des animaux, des végétaux. Un grand nombre de ces fresques montrent des femmes, joliment parées et aux seins dénudés. Des figurines de femmes tenant des serpents ont aussi été trouvées.

Figurines trouvées à Knossos
Figurines trouvées à Knossos – Musée archéologique de Crète à Héraklion. Source : Wikimedia Commons

Le premier ayant rapporté une analyse de ce site est l’archéologue Arthur John Evans. Il conclut qu’il s’agit du palais d’un roi et de son harem. D’après le reportage Arte “Enquêtes archéologiques – Crète, le mythe du labyrinthe” par Peter Eeckhout, des analyses plus récentes ont montré que la gravure de l’homme qu’Evans prétend être celle d’un roi, a été construite à partir de plusieurs pièces trouvées à des endroits différents du site. Les chercheurs ont par ailleurs trouvé, dans une salle au siège surélevé, la gravure d’une femme assise sur un siège identique. Aujourd’hui, la plupart des chercheurs s’accordent pour dire que le palais était initialement un domaine de prêtresses, et qu’une femme siégeait sur le trône, mais que le site a du connaître plusieurs systèmes de gouvernance par la suite, car les constructions les plus récentes semblent révéler des rapports hiérarchiques absents des constructions plus anciennes.

Bien souvent, lorsque des fouilles sont menées sur des tombes dont les restes du squelette ne permettent pas d’identifier le sexe, les archéologues considèrent que les tombes avec des armes sont des tombes d’hommes tandis que les tombes avec des bijoux sont des tombes de femmes. Lorsque ces résultats sont popularisés, on en déduit que depuis l’aube de l’humanité, les hommes portent des armes et les femmes des bijoux. C’est une logique fallacieuse, un des maints exemples de la façon dont les préjugés s’auto-entretiennent.

En fait, lorsqu’on réalise une analyse plus rigoureuse des os, on observe qu’il y a bien des femmes enterrées avec des armes, et des hommes avec des bijoux. Shane Mac Leod, de l’Université Western Australia, a ainsi montré que des femmes étaient enterrées avec des armes dans des tombes vikings en Angleterre. La même observation est faite par des chercheur-se-s des universités d’Uppsala et de Stockholm sur le site de Birka en Suède, en réalisant cette fois des analyses génétiques sur les os. Jeannine Davis-Kimball constate, elle aussi, que des femmes sont enterrées avec des armes, dans des tombes Kurganes dans le site de Porkovka au Kazakhstan.

Femme enterrée avec armes et chevaux, sur le site de Birka en Suède
Femme enterrée avec armes et chevaux, sur le site de Birka en Suède. Source : “La première femme guerrière viking a été découverte en Suède”, par Benjamin Bruel, 2017

Un sophisme identique existe dans la détermination du sexe des australopithèques. Les plus petits squelettes sont attribués à des femmes (c’est le cas de la célèbre Lucy). Le bio-anthropologue Robert Martin, dans un reportage d’Arte “Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ?” de Véronique Kleiner, révèle que c’est une prise de position arbitraire. Des squelettes plus gros ont été attribués à des australopithèques mâles, mais, selon lui, il pourrait aussi s’agir d’une autre espèce. Tout ce qui est certain, dit-il, c’est que l’on a des grands spécimens et des petits spécimens.
Ce partage arbitraire peut conduire à l’idée que le dimorphisme sexuel était important au début de l’humanité, et cette idée sert alors de référence aux examens et théories futures.

Merlin Stone note que de nombreux écrits anciens sont assez vagues pour donner de grandes différences d’interprétation entre les traducteurs et, dans ce cas, l’influence de leurs préjugés est encore plus forte.
C’est une constatation que tout à chacun peut faire, en observant la diversité des traductions qui ont été proposées pour des textes très anciens, tels que des écrits hiéroglyphiques ou cunéiformes.

Quelques fois, dans ces traductions, des informations sont ignorées car elles ne sont pas jugées utiles, mais, de ce fait, une partie de l’état d’esprit de la culture qui a fait naître ces textes, est perdue.

Voici un exemple typique sur “Les maximes du discours juste”, du vizir Ptahhotep, écrit en hiéroglyphes sur papyrus au cours de la Ve dynastie (2494-2345 avant JC) et conservé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
Voici la 5e maxime, d’après une traduction de Wim van den Dungen, gracieusement partagée sur maat.sofiatopia.org :

(73) Si vous êtes un homme qui dirige,
(74) chargé de diriger les affaires d’un grand nombre
(75) cherchant tous les actes les plus justes
(76) pour que vos actions soient irréprochables.
(77) Grande est Maat, durable ses effets.
(78) Imperturbable depuis le temps d’Osiris.
(79) On punit celui qui transgresse la loi,
(80) bien que le cœur qui vole l’ait regardé de haut.
(81) La bassesse peut saisir la richesse
(82) cependant le crime ne débarque jamais sa marchandise.
(83) Il dit : « j’acquière pour moi-même »
(84) Il ne dit pas « J’acquière pour ma fonction »
(85) A la fin, c’est Maat qui dure
(86) L’homme dit : « C’est le domaine de mon père »

La plupart des traductions sont moins littérales que celle présentée ci-dessus, qui peut paraître confuse. La Déesse Maat est simplement appelée “justice”, “vérité”, ou encore “loi” ou “règle”, dans d’autres traductions, excluant ainsi l’élément spirituel féminin, pourtant bien présent dans les écritures égyptiennes. Voici par exemple une traduction partagée sur egyptos.net (le nom du traducteur ou de la traductrice n’est pas précisé) :

Si tu es un guide, chargé de donner des directives à un grand nombre, cherche, pour toi, chaque occasion d’être efficient, de sorte que ta manière de gouverner soit sans faute. Grande est la règle, durable son efficacité. Elle n’a pas été perturbée depuis le temps d’Osiris. On châtie celui qui transgresse les lois, même si cette transgression est le fait de celui au cœur rapace. L’iniquité est capable de s’emparer de la quantité, mais jamais le mal ne mènera son entreprise à bon port. Celui qui agit mal dit : j’acquiers pour moi-même ; il ne dit pas : j’acquiers au bénéfice de ma fonction. Quand vient la fin, la règle demeure. C’est ce que dit un homme juste : tel est le domaine de mon père spirituel.

Le concept de Maat des maximes de Ptahhotep n’est pas sans rappeler celui du Tao. Dans le Tao Te Ching de Lao Tse, le mot Tao désigne la voie, l’équilibre, la conduite, la source, la mère primordiale…
La Tao Te Ching connaît lui-même une grande diversité de traductions. Certains traducteurs mettent en avant l’essence maternelle du Tao tandis que d’autres l’excluent totalement. Une intéressante comparaison est proposée sur ttc.tasuki.org

Toutefois, pourrions-nous nous dire, les préjugés ne sont ils pas bâtis, finalement, sur une réalité ?
Lorsqu’on regarde autour de nous, même avec un effort d’objectivité, la domination des hommes sur les femmes, et la loi du plus fort en général, n’est-elle pas partout ? N’est-il pas légitime de ce fait d’en déduire qu’il a du en être ainsi depuis la nuit des temps ?

En fait, il existe bien des exceptions au patriarcat. Quelques sociétés ont adopté un système de filiation de type matrilocal et matrilinéaire, c’est à dire que les filles, ou seulement l’une d’entre elles, restent au domicile des parents et héritent de leur propriété, tout en prenant soin d’eux dans leur grand âge. Il s’agit par exemple des Garo ou des Khassi du Meghalaya, des Mosuo de Chine, des Minangkabau d’Indonésie, des Iroquoi d’Amérique… Des récits d’explorateurs font état de plusieurs autres sociétés ayant fonctionné selon ce système, avant que la quasi totalité des peuples ne soit assujettie à des systèmes religieux ou philosophiques d’essence patriarcale, tels que le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, les lois de Manu de l’hindouisme, le Confucianisme…

Jeune homme et jeune fille Garo avec leur costume traditionnel
Jeune homme et jeune fille Garo avec leur costume traditionnel, lors d’un festival de Wangala à Asanaggre à 14 km de Tura. Photo : Vishma Thapa. Source : Wikimedia Commons

La manière de vivre d’une société humaine dépend aussi de conditions environnementales et de contacts avec d’autres civilisations. Lorsque ces éléments de l’environnement changent, la manière de vivre change aussi.

Il est probable qu’il y a bien longtemps, lorsque l’humanité était moins nombreuse et donc moins sujette aux conflits, une grande partie de l’humanité au moins, ait respecté la filiation naturelle qui lie l’enfant à sa mère bien plus qu’à son père.
Peut-être aussi que le développement de pôles commerciaux attractifs, de cités, a favorisé une agglomération de populations qui, si elle sont mal protégées, deviennent facilement les proies des plus violentes et des plus pillardes d’entre elles, pour qui un système de filiation qui avantage le plus fort ne paraît pas contre nature.
Quoi qu’il en soit, faire d’une moyenne de ce que l’on observe aujourd’hui une généralité globale, immuable, voire idéale, conduit certainement à l’erreur.

L’Histoire est aussi un outil de pouvoir, car on tend à tirer les leçons du passé pour améliorer l’avenir. Il suffit donc de manipuler la version officielle de l’Histoire pour faire accepter certains idéaux.

Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur.
Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé
George Orwell, “1984”, publié en 1949

Des fondations obsolètes

Les programmes scolaires et universitaires, les musées, les documentaires, ignorent le foisonnement de découvertes basées sur des outils modernes, ou un point de vue inhabituel, qui seraient de nature à fissurer le dinosaure que constitue le courant officiel.

Jean Piaget, chercheur en psychologie de l’enfant, décrit l’apprentissage selon deux processus : l’assimilation et l’accommodation. Le premier consiste à adapter l’information de l’environnement à notre structure de connaissances, le second adapte nos structures de connaissances aux informations de l’environnement.

Dans ma profession, la programmation informatique, il arrive fréquemment que les demandes varient de façon importante tout au long du projet, au point que, si l’on voulait bien faire, il faudrait revoir les fondations même du programme, ce qui rend le développement particulièrement long. C’est comme s’il fallait détruire une maison et refaire les fondations tout au long de sa construction, car les clients décident à quoi ressemblera leur maison au fur et à mesure qu’ils la voient grandir. Pour des raisons de temps et de budget, il n’est guère possible de faire ainsi. On procède donc par “assimilation” des nouvelles fonctionnalités, sans repenser l’ensemble, autrement dit sans “accommoder” l’existant. Les nouvelles fonctionnalités s’accumulent donc de façon chaotique et il devient difficile, pour un-e programmeur-se, de s’y retrouver, les anomalies sont nombreuses et la remise en ordre qu’il serait nécessaire de faire prendrait au moins autant de temps que celui déjà passé.

C’est aussi ce qui se passe dans la progression des connaissances académiques.
Remettre en cause des fondations des connaissances académiques implique de réunir les experts qui font école dans leur domaine, et de les mettre d’accord, ce qui est loin d’être facile. Il en va aussi de la réputation des chercheurs qui ont publié des travaux sur des bases obsolètes, et de la notoriété et de la richesse des musées.

Pourtant, il y a beaucoup de choses que tout à chacun peut observer, qui font douter des versions officielles des sciences ou de l’Histoire.

Comment intégrer, dans les connaissances biologiques et chimiques dont nous disposons, l’efficacité de médecines parallèles, telle que l’Ayurveda (médecine indienne), la méditation, le yoga, par rapport à la panoplie chimique ou chirurgicale fortement intrusive qu’utilise habituellement les médecins ?

Comment avoir foi en la datation des civilisations celtes et romaines, alors que les copies les plus anciennes des textes latins dont disposent les bibliothèques et musées, et qui servent de références historiques, datent du IXe siècle – si l’on se fie aux estimations – ou même de la Renaissance ?
Les plus vieux exemplaires des “Commentaires sur la guerre des Gaules” de Jules César (“Commentarii de Bello Gallico” Julius Caesar), principale source historique pour décrire les peuples celtes, sont estimés au IXe siècle de notre ère. Un de ces exemplaires est conservé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF), l’autre à Amsterdam. Les plus vieilles éditions (partielles) de “L’Histoire de Rome” (Ab Urbe Condita Libri) de Tite Live (Titus Livius), une des principales sources historiques de l’empire romain, sont aussi estimées au IXe siècle de notre ère. Une de ces éditions est aussi conservée à la BNF.
Le site internet tertullian.org tient une remarquable liste des plus anciens manuscrits connus pour la plupart des auteurs classiques grecques et latins, avec leur date estimée.

Recueil composite Commentarii de Bello Gallico - Julius Caesar
Un des deux plus anciens exemplaires du commentaire de la guerre des Gaules par Jules Cesar (“Commentarii de Bello Gallico” Julius Caesar), estimé à la première moitié du IXe siècle, est conservé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF). L’autre exemplaire estimé à la même époque est conservé à Amsterdam. Source : Archives de la BNF

D’autres incohérences entre les données archéologiques et la chronologie officielle sont observées par des chercheurs récentistes tels que les Russes Anatoly Fomenko et Gleb Novosky.

Les domaines des connaissances académiques ou du développement informatique ne sont pas les seuls qui évoluent de cette façon. Une grande problématique pour les démocraties aujourd’hui est le développement exponentiel des lois et de la jurisprudence, qui ne s’accompagne pas toujours d’un souci de clarté et de cohérence. Il en va de même pour les procédures administratives. Lorsqu’on sait que “nul n’est censé ignorer la loi”, on peut mesurer toutes les difficultés et les coûts que cela représente pour les entreprises comme pour les simples citoyens. Cette complexité est probablement une des raisons qui freinent l’adoption de la démocratie dans certaines parties du monde.

Le réel et l’éprouvette

On fait nécessairement une erreur lorsque l’on tente de simplifier les attitudes humaines par des chiffres et des catégories. L’être humain et son milieu sont très complexes et penser que l’on peut totalement identifier et isoler une cause et un effet au travers d’une expérience est une illusion, c’est tenter de mettre l’infinie complexité de la nature dans une éprouvette.

L’expérimentation en sciences humaines

Les sciences humaines tentent d’étudier les différences entre groupes sociaux en s’appuyant sur la psychologie expérimentale et les statistiques inférentielles. La psychologie expérimentale tente d’isoler une variable indépendante et une variable dépendante, pour observer l’effet de la variation de la première sur la seconde. Les statistiques inférentielles permettent d’établir si une différence trouvée sur un échantillon de sujets est dite “significative” au regard de la population parente (avec une marge d’erreur), en utilisant des calculs de probabilité.
Il y a plusieurs notions importantes à retenir au sujet de ces expériences :

Corrélation ne signifie pas causalité. Si deux facteurs sont corrélés, par exemple le sexe et les performances, cela ne signifie pas que l’un explique le second. Des facteurs plus déterminant peuvent être éducatifs, par exemple les jouets que les sujets ont reçus à l’enfance et qui ont influencé le développement cognitif.

Ces résultats ne sont pas définitifs. Une personne peut améliorer ses performances dans un domaine par l’exercice ou bien changer son attitude en changeant son image de soi et des autres. Le cerveau est un organe très flexible, il est possible que plus cet entraînement a lieu à un âge jeune et plus il produit des résultats rapides et durables, mais à chaque âge de la vie il est possible des changer ses attitudes et aptitudes.
Par exemple, selon une étude de Kass, S.J. Ahlers R.H. and M. Dugger, (1998), avec l’apprentissage, les différences de scores en géométrie spatiale disparaissent.

Ces résultats ne sont pas systématiques, il y a des gens qui ont une performance qui dépasse la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturel, sur une tâche en moyenne mieux exécutée par des gens qui appartiennent à un autre groupe socio-culturel, et inversement. Les résultats aux tests de performance en psychologie suivent en général une courbe de Gauss, c’est à dire une cloche renversée, la majorité des scores se groupant autours de la moyenne. Lorsque les performances de deux groupes de sujets diffèrent, c’est suivant deux courbes de Gauss qui se croisent, c’est à dire que, même si une différence de moyenne “significative” entre deux groupes peut-être trouvée, il y a toujours des individus du groupe à plus faible performance moyenne qui dépassent des individus du groupe à plus forte performance moyenne. Malheureusement la perception du public est telle qu’il croit que tous les gens ont une performance correspondant à la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturelle (voir les diagrammes ci-dessous).

Performances perçues
Performances réelles

La validité de la méthode expérimentale

Lorsque des expériences sont rendus publiques, il est facile d’ignorer certains résultats ou d’en ajouter des fictifs. Lorsque des budgets ou des idéaux sont en jeu, il n’y a aucun doute sur le fait que certaines expériences sont plus ou moins falsifiées. Parfois, leurs résultats sont acceptés par la communauté scientifiques sans que personne n’ait tenté de les répliquer.
La nature est pleine de diversités, il est donc facile d’y trouver les données que l’on souhaite par rapport à son idéologie ou son intérêt en général, et d’ignorer les autres données.
Par exemple, il existe des expériences de l’industrie pharmaceutique qui ignorent volontairement les effets secondaires de médicaments. Voir à ce sujet la conférence de Ben Goldacre sur le forum TED (en anglais).

https://embed.ted.com/talks/ben_goldacre_battling_bad_science

Les observations “scientifiques” sur les différences de genre

Certains scientifiques alimentent des arguments sexistes par des relevés hormonaux, le constat de différences physiques et chromosomiques, et tracent une flèche causale pointant sur les différences sociales et psychologiques, comme si le fait d’avoir un vagin et des œstrogènes était le déterminant d’une prédisposition à demeurer dans le cloisonnement du foyer, s’occuper des enfants, être émotionnellement instable, et intellectuellement peu technique et peu créative.

Sans doute y a t’il une influence génétique dans la personnalité humaine. Les résultats des recherches sur de vrais jumeaux séparés à la naissance montrent que ceux-ci ont, par exemple, la même préférence pour certains aliments. Mais cela ne permet pas de déduire qu’il y a une part de génétique dans tout, notamment dans un domaine aussi culturellement ancré que les différences de genre sexuel et leur impact dans le développement de l’intelligence. Toutes les études génétiques montrent que les caractéristiques des parents se transmettent aux enfants indépendamment de leur sexe, donc un père ingénieur peut transmettre à sa fille son goût pour les mathématiques, par exemple.

Ces publications scientifiques et sexistes sont d’autant plus néfastes qu’elles sont à l’opposé du type d’information qui permet à l’individu d’avoir foi en lui afin de persévérer dans le développement de ses compétences. Carole Dweck, évoquée dans l’article Les modèle sociaux, montrent que l’idée que certains individus aient des prédispositions innées et fixes les amènent à fuir les défis et à renoncer facilement en cas d’échec. Au contraire, l’idée que toutes compétences se développent avec la pratique incite à persévérer dans l’effort, à accepter les critiques et à aimer les défis.

Le cerveau est effectivement un organe flexible. Les structures cérébrales changent lorsqu’une personne, pour diverses raisons, acquiert de nouvelles compétences ou change d’attitude : d’autres zones du cerveau sont stimulées, d’autres neurotransmetteurs sont produits. Si des recherches montrent des différences biologiques moyennes dans les structures cérébrales de différents groupes sociaux, en utilisant des statistiques sur un grand nombre de personnes, ces différences biologiques reflètent les différences sociales, elles ne les expliquent pas.
Des recherches récentes montrent d’ailleurs que même l’expression de certains gènes est modifiée avec l’expérience ! C’est le domaine de l’épigénétique.

A propos des structures cérébrales, Catherine Vidal, neurobiologiste, écrit en septembre 2009 : “la variabilité individuelle dépasse le plus souvent la variabilité entre les sexes qui, en conséquence, fait figure d’exception“. Catherine Vidal réalise d’autres observations et réflexions intéressantes qu’elle a partagé lors d’entretiens avec des journalistes et à l’occasion d’une conférence à Ted Paris:

https://www.youtube.com/embed/OgM4um9Vvb8

Voici un résumé de ses arguments principaux contre les prétendues différences intellectuelles “naturelles” entre hommes et femmes :

– Certains chercheurs ont avancé l’idée que les femmes sont moins intelligentes que les hommes parce que leur cerveau est en moyenne plus petit. Mais d’autres études montrent que taille du cerveau n’est pas lié à l’intelligence. Catherine Vidal écrit ainsi : “Des exemples fameux sont les cerveaux des écrivains Anatole France et Yvan Tourgueniev : le premier pesait 1kg et le second 2kg !“.

– Une autre idée reçue concerne la relation entre orientation sexuelle et des facteurs génétiques ou cérébraux. Catherine Vidal montre que ces études sont invalides et non confirmées par d’autres études équivalentes.

– D’autres chercheurs ont prétendu qu’hommes et femmes utilisaient leur cerveau différemment. Par exemple un chercheur a avancé l’idée que les hommes utilisent d’avantage l’hémisphère gauche que les femmes (se basant sur une quarantaine de sujets), mais cette recherche ne fût pas confirmée par l’étude d’un nombre plus important de sujets. Un autre chercheur montre que le corps calleux (reliant les deux hémisphères) est plus gros chez les femmes, se basant sur une vingtaine de cerveaux conservés au formol, et cela a alimenté de nombreuses spéculations quant aux faits que les femmes seraient plus “multitâches”. Cette observation ne fut pas non plus confirmée par l’analyse d’un nombre plus important de cerveaux. Hélas, en raison de la médiatisation de ces observations, bien qu’elles fussent invalidées, beaucoup continuent à croire en leur conclusion. Des études plus récentes montrent qu’en réalité, différents individus, indépendamment du sexe, ne mobilisent pas les mêmes zones cérébrales pour résoudre la même tâche. Catherine Vidal écrit : “Un des grands apports de l’imagerie cérébrale par IRM est précisément d’avoir révélé à quel point le fonctionnement du cerveau est variable d’un individu à l’autre. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit de manipuler en mémoire des représentations mentales pour résoudre un problème, comme dans le jeu d’échecs ou le calcul mental. Pour des performances égales, chacun de nous a sa propre façon d’activer ses neurones et d’organiser son raisonnement“.

– Catherine Vidal montre aussi que l’essentiel du cerveau se développe après la naissance en fonction du milieu. Grâce aux techniques d’imageries médicales, on peut voir le cerveau se modifier en fonction d’apprentissage, par exemple chez des musiciens : “épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts ainsi que dans l’audition et la vision“, chez des chauffeurs de taxi : “les zones du cortex qui contrôlent la représentation de l’espace sont plus développées, et ce proportionnellement au nombre d’années d’expérience de la conduite du taxi“, chez des jongleurs : “épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et des mains“. Le même phénomène est observé chez des personnes développant des savoirs plus abstraits (chimie, physique, biologie). Ces études démontrent la plasticité cérébrale et Catherine Vidal conclue ainsi : “voir des différences entre les individus ou entre les sexes, ne signifie pas qu’elles sont inscrites dans le cerveau depuis la naissance ni qu’elles y resteront.“.
A ce sujet, il est intéressant de noter que ces observations cérébrales sont aussi utilisées par l’équipe de Mindsetworks (inspirée par Carole Dweck), pour encourager les enfants des deux sexes à persévérer dans l’effort, par l’intermédiaire d’une vidéo éducative (en anglais).

– Des études ont montré qu’en moyenne les femmes réussissent mieux dans des tests de langage, tandis que les hommes sont meilleurs dans des tests d’orientation dans l’espace. Ces différences hommes – femmes ne sont pas systématiques : “la dispersion des valeurs est telle qu’on trouve un nombre non négligeable de femmes qui sont meilleures dans les tests des hommes et réciproquement“. Elles ne sont pas non plus définitives : “avec l’apprentissage, les différences de scores disparaissent“. De plus ces différences sont faibles. Elles peuvent même disparaissent en fonction des attributions, par exemple, dans le cas de la performance spatiale, lorsque des exercices sont présentés comme des exercices de dessin plutôt que de géométrie (voir “l’effet Pygmalion et la menace du stéréotype” dans “Les modèles sociaux“).

– La relation hormones et comportements est aussi mise en question. Aucune étude ne confirme, chez l’être humain, la relation entre testostérone et agressivité par exemple, et il n’existe pas de déséquilibres hormonaux chez les personnes homosexuelles. Catherine Vidal écrit ainsi, citant Zweifel : “dans des conditions physiologiques normales, aucune étude scientifique n’a montré de relation directe de cause à effet entre les taux d’hormones et les variations de nos états d’âme“. Ainsi, le comportement humain semble se baser sur des déterminants plus complexes que l’animal. Peut-être que certains changements hormonaux exercent une influence, mais de façon différente pour chaque personne, puisque l’intervention du raisonnement abstrait est plus fort chez l’être humain et celui-ci s’établit sur la base d’une grande diversité d’expériences propre à chaque personne.

Les limites des instruments de mesure

La science nous offre l’idée qu’un jour, tout sera sous contrôle, puisque tout obéit à des règles régulières. Il suffit de trouver les formules mathématiques qui imitent le mieux les observations, afin de réaliser des prédictions.
En fait, c’est vrai dans un environnement où l’on contrôle tout, et où l’on se limite à ce qu’on peut observer à notre échelle d’espace et de temps.

Les lois de la gravité ne suffisent pas à expliquer certains mouvements des astres, par exemple le fait que les galaxies s’éloignent les unes des autres de plus en plus vite. Pour l’expliquer, on parle de “matière noire”, inobservable directement, et exerçant une force de gravité. Mais en fait, nous ne savons pas.

Même dans notre palette conceptuelle et sensorielle limitée, il est difficile de reproduire un environnement avec précision, et donc de faire des prédictions parfaites, car nos instruments de mesure sont limités. Or, de très petites différences de conditions initiales, qui ne sont pas toujours mesurables, peuvent produire des résultats tout à fait différents.

C’est ce qu’a observé un météorologue nommé Lorenz dans les années soixante. Il réalisait des prévisions météo à partir de formules mathématiques complexes prenant en paramètres des conditions climatiques telles que la vitesse du vent, la température et la pression. En laissant plus de chiffres après la virgule, donc en entrant des mesures plus précises, les résultats deviennent tout à fait différents. Il en déduit que des variations subtiles peuvent produire de grands changements

Un battement d’ailes de papillon au Brésil peut produire une tornade au Texas
Edward Lorenz, 1972

Avant Lorenz, Mary Lucy Cartwright et John Edensor Littlewood avaient observé un phénomène pareillement surprenant, pendant la seconde guerre mondiale, au sujet des ondes radio. Lorsque l’amplitude des ondes radio était plus petite, leur transmission devenait plus instable, autrement-dit, imprédictible.

Lorsqu’on va vers l’extrêmement petit, au niveau des constituants supposés des atomes, la prédictibilité devient plus dure, et les physiciens calculent des probabilités d’événements. C’est le domaine de la physique quantique. Certaines observations vont jusqu’à défier nos capacités conceptuelles, par exemple le fait qu’un photon ou un électron puisse avoir parfois les propriétés d’une particule, et parfois celles d’une onde, selon la manière dont on le mesure.

Il n’y a que dans le monde mathématique, c’est à dire notre monde conceptuel, que nous pouvons produire de parfaites prédictions. Les connaissances que nous possédons dans d’autres disciplines sont de simples observations à partir desquelles nous avons dégagé des récurrences nous offrant une prédictibilité suffisante sur notre échelle de temps et d’espace, et qui parfois font l’objet de modèles mathématiques.

Ainsi, aucun être humain ne pourra totalement définir la réalité, car nous sommes limités dans ce que nous sommes capables d’observer et de concevoir. Nous pouvons observer des redondances et en déduire des règles, elles demeurent valables pour notre niveau d’observation seulement, dans un environnement où tout est sous contrôle.

Les écrans

Les écrans, ce sont la télévision, l’ordinateur, le smartphone ou tablette, la console de jeux. Regarder des écrans est devenu un loisir privilégié, une compagne, et, pour les familles, une nounou. Pourtant, ce loisir n’est pas sans danger pour le développement cognitif, notamment celui des enfants. De plus, il augmente l’agressivité, les préjugés et les consommations pathogènes.

Effet des écrans sur les performances cognitives

Les écrans occupent le temps que les enfants consacraient autrefois à lire ou à agir sur leur environnement, en jouant, en manipulant, en inventant des histoires, en cherchant des petits animaux ou des fleurs, en courant après leurs camarades…

La plupart du temps, les écrans sont regardés de façon totalement passive (vidéos en ligne, télévision…). Or, le mouvement est à la base du développement neuronale. Les formes les plus primitives de systèmes nerveux sont dédiées à la motricité d’un organisme multicellulaire.

L’expérience menée par Richard Held et Alan Hein (1963) illustre bien l’importance de l’action dans l’apprentissage. Ils ont maintenu des chatons dans l’obscurité totale dès leur naissance. Dès qu’ils sont devenus capables de marcher, ils les ont exposés à la lumière 3 heures par jour, au cours desquelles la moitié des chatons, toujours les mêmes, pouvaient bouger en tirant chacun une petite nacelle dans laquelle se trouvait un autre chaton. L’autre moitié des chatons étaient ceux qui restaient passivement dans la nacelle. Ils pouvaient seulement bouger la tête et voir leur environnement. Après quelques semaines, les chatons actifs avaient développé une motricité normale, tandis que les chatons passifs présentaient les mêmes troubles que des chatons aveugles.

Expérience de Hein & Held 1963
Expérience de Hein & Held 1963.
Source: https://marom.net.technion.ac.il/files/2016/07/Held-1963.pdf

La passivité en soi n’est pas mauvaise, si elle est correctement mise en balance avec des moments d’action.
Pour agir sur le monde, on a besoin d’observer. Perception, réflexion et action se nourrissent mutuellement. C’est comme une respiration. La perception est une inspiration, l’action, une expiration, qui prend parfois la forme d’une action intellectuelle, on réfléchit pour planifier une action, une création. Et c’est ce besoin d’action/création qui attise la perception et la réflexion. La perception est au service de l’action.

Mais la perception d’images sur un écran n’est pas une perception guidée par nous-même, en vue d’actions ou de créations futures. Il s’agit d’un flux d’information transformé, une succession rapide d’images et de sons, conçue pour capter l’attention et pour vendre.

Des études de Ayelet N. Landau, Michael Esterman, Lynn C. Robertson, Shlomo Bentin et William Prinzmetal montrent que cette forme d’attention sollicite des circuits nerveux différents de ceux employés dans la concentration sur une tâche. Elle est appelée “automatique” ou “exogène”, par opposition à l’attention “volontaire” ou “endogène”. Une expérience de Ayelet N. Landau, Deena Elwan, Sarah Holtz et William Prinzmetal montre que l’impulsivité est corrélée avec la première forme d’attention (involontaire) et négativement corrélée avec la seconde (volontaire). La télévision favorise le développement de l’attention involontaire au détriment de l’attention volontaire.

Michel Desmurget, dans son ouvrage “TV lobotomie” (2011) cite l’étude de Marie Winn qui constate l’effondrement de performance entre les années 1965 et 1980 sur un test de compétences verbales appelé SAT verbal, qui fait parti des tests de sélection utilisés par les universités américaines. Elle note, dans son ouvrage “The plug-in drug”, que cet effondrement est consécutif à la pénétration de la télévision dans les foyers américains, comme l’indique la courbe ci-dessous :

Evolution équipement TV et performances verbales
Evolution équipement TV et performances verbales.
Source : Marie Winn “The plug-in Drug” (2002), cité dans “TV lobotomie” par Michel Desmurget (2011).

On peut voir que la durée qui sépare les deux courbes (nombre de foyers équipés et scores au SAT verbal) est simplement l’âge que les étudiants doivent avoir lorsqu’ils passent le test.

Ceci-dit, une corrélation entre deux événements ne signifie pas nécessairement que l’un est la cause de l’autre. Une étude plus emblématique est celle menée par Tannis MacBeth Williams et ses collègues, dans les années 70 au Canada, et rapportée dans son ouvrage “The Impact of Television: A Natural Experiment in Three Communities”.
Au début de son étude, toutes les villes canadiennes ne sont pas encore accordées à la télévision. Parmi celles qui le sont, certaines reçoivent plusieurs chaînes, et d’autres n’en reçoivent qu’une. Cela permet à Tannis MacBeth de constituer trois groupes d’enfants de niveau CE1 : NoTel (pas de télévision), OneTel (une seule chaîne de télévision captée) et multiTel (plusieurs chaînes captées). Elle mesure leur performance à une tâche de lecture. Elle note que les résultats du groupe NoTel sont supérieurs à ceux des deux autres.
Peu de temps après, la commune du groupe NoTel est raccordée à la télévision.
Les performances verbales sont de nouveau mesurées, deux ans plus tard. Le groupe d’enfants NoTel, alors en CM1, conserve son avance par rapport aux deux autres groupes. Mais ce n’est pas le cas des nouveaux enfants entrés en CE1 dans cette même commune, c’est à dire ceux qui ont eu accès aux programmes télévisés dû au raccordement. Pour ces nouveaux enfants, il n’y a pas de différence significative entre les trois communes.
L’étude de Tannis MacBeth ne relève pas seulement un impact en terme de performance verbale. Elle note aussi que l’exposition télévisée accroît l’agressivité et les préjugés liés au genre sexuel, et réduit la créativité.

Des études rapportées dans l’ouvrage “Thinking and Literacy- The Mind at Work” par Carolyn N. Hedley, Patricia Antonacci et Mitchell Rabinowitz, portent sur des centaines de milliers d’enfants, et constatent, pareillement, la corrélation négative entre la performance scolaire des enfants et leur consommation télévisuelle.

Dessin d'enfants selon l'exposition télévisée
Dessin d’enfants selon l’exposition télévisée.
Source : Winterstein et Jungwirth, cité dans TV lobotomie, Michel Desmurget

Peut-être peut-on croire que l’impact des écrans dépend de la qualité des émissions proposées, et que des programmes éducatifs peuvent se révéler bénéfiques pour les enfants ?
D’après l’étude de Rachel Barr et Harlene Hayne, ce n’est pas toujours le cas, du moins pour les très jeunes enfants. Dans une des expérience de cette étude, une femme agite une marionnette devant des enfants de 12, 15 et 18 mois. Elle enlève le grelot que la marionnette a dans son gant, l’agite, puis la remet dans le gant de la marionnette. Une partie de ces enfants voit la femme en vraie, l’autre voit un enregistrement vidéo. Les résultats montrent un taux d’imitation de la démonstration complète bien plus élevé dans la condition réelle, comme le montre la figure ci-dessous :

Taux d'imitation selon la nature du modèle et l'âge, Rachel Barr & Harlene Hayne
Taux d’imitation selon la nature du modèle et l’âge, Rachel Barr & Harlene Hayne

Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par Cordua, Mac Graw et Drabman, 1979 (voir “les modèles sociaux”)

Violence et modèles médiatiques

La violence sur écran influence t’elle l’agressivité des enfants ? Cette question est importante, car les scènes de violence dans les émissions pour enfants sont sans cesse en augmentation dans nos sociétés. Aux USA par exemple, on observait en 1980 une moyenne de 18,6 actes violents par heure dans les dessins animés du samedi matin, tandis que ce nombre s’élève à 26,4 en 1990 (New York Times, 1990).
En France, une enquête du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) de novembre 1995, citée par Michel Desmurget dans “TV lobotomie” (2011), observe 109 heures de programmes, soit 194 émissions. Elle révèle 2 crimes et 10 actes violents par heure. Plus de la moitié des fictions contenaient au moins une séquence criminelle, qui est parfois le fait de personnages positifs. L’étude américaine “National television violence study” (J. Federman, S. L Smith, C. Whitney, J. Cantor et A. Nathanson, 1998), observe sur 3 ans 10 000 heures de programmes aléatoirement sélectionnés sur 23 chaînes américaines. Les résultats montrent que 60% des émissions contenaient des actes de violence, qu’ils se produisent en moyenne 6 fois par heure, qu’ils sont perpétués une fois sur deux de manière réaliste et par des personnages positifs. Dans plus de 7 cas sur 10, la violence ne causait ni remords, ni critique, ni sanction. Michel Desmurget cite une autre étude américaine qui montre que 70% d es programmes jeunesse intégraient des contenus violents, à raison de 14 incidents par heure (Barbara J. Wilson, Stacy L. Smith, W. James Potter, Dale Kunkel, Daniel Linz, Carolyn M. “Violence in Children’s Television Programming: Assessing the Risks”, 2002).

Une étude réalisée par Eron, Huesmann, Lefkowitz et Walder en 1972 retrace les habitudes télévisées de plus de 800 enfants de 8-9 ans pendant une période de 10 ans. Les chercheurs collectent les préférences télévisées et l’agressivité de chaque enfant (mesurée par leurs camarades de classe). Les garçons regardant une haute quantité de violence se révèlent beaucoup plus agressifs dans leurs relations interpersonnelles que ceux préférant les programmes peu violents.
Dix années plus tard la moitié des sujets masculins fut interrogée sur leurs préférences télévisées, passèrent un test mesurant les tendances agressives et leur entourage fut interrogé à propos de leur taux d’agressivité dans les relations sociales. La figure ci-dessous montre qu’une haute exposition à la violence télévisée à l’âge de 9 ans est positivement corrélée avec l’agressivité des garçons à l’âge de 19 ans.

Effet de la violence à la TV sur le comportement des garçons
Effet de la violence à la TV sur le comportement des garçons.
Source : “Hilgard’s introduction to psychology”, 1996, par Rita L. & Richard C. Atkinson, Edward E. Smith, Daryl J. Bem and Susan Nolen-Hoeksema

Les résultats ne montrent aucune corrélation significative entre les habitudes télévisées des filles et leur agressivité à tout âge. Ceci s’accorde avec les résultats d’autres études montrant que les filles ont beaucoup moins tendance à imiter la violence télévisée que les garçons, à moins d’être spécifiquement renforcées pour le faire.
En fait la grande majorité des rôles agressifs à la télévision sont joués par des hommes, les fillettes sont donc moins susceptibles de trouver des modèles agressifs à imiter.

Une autre étude, de L. Rowell Huesmann, Jessica Moise-Titus, Cheryl-Lynn Podolski, et Leonard D. Eron, rapporte une relation entre les habitudes télévisées et l’agressivité d’un échantillon de 557 sujets, observé depuis l’âge de 6-10 ans, et sur une quinzaine d’années (de 1977 à 1992). Les chercheurs collectent les habitudes télévisées et les comportements agressifs de chaque enfant (observés directement ou par leurs parents). Les enfants regardant une haute quantité de violence se révèlent plus agressifs dans leurs relations interpersonnelles que ceux préférant les programmes peu violents.
Quinze années plus tard les chercheurs interrogent les mêmes sujets sur leurs habitudes télévisées, et ils mesurent leurs actes agressifs, rapportés par eux-mêmes, les proches ou les enregistrements judiciaires. Les résultats montrent qu’une haute exposition à la violence télévisée à l’enfance est positivement corrélée avec l’agressivité à l’âge adulte. Cette corrélation est aussi valable à un âge donné.

Nous pourrions penser toutefois que c’est l’agressivité initiale (génétique ou due au milieu familial) de l’enfant qui oriente ses choix de programmes télévisés vers des émissions violentes. D’autres études montrent que la vision de programmes précède l’apparition de l’agressivité dans le répertoire comportemental de l’enfant.
Michel Desmurget cite une étude de Kaj Björqvist de 1985 qui donne à observer une vidéo violente à un groupe d’enfants de 5-6 ans, et une vidéo neutre à un autre groupe d’enfants du même âge. L’observation du comportement des enfants en salle de jeu après la vidéo montre que les enfants ayant regardé la vidéo violente étaient significativement plus enclin à pousser, frapper et provoquer leurs congénères, que ceux ayant regardé la vidéo neutre. Des résultats similaire sont rapportés par une étude de Wendy Josephson (1987) qui observe des enfants de 7-8 ans jouer au Hockey après avoir regardé des images soit neutres, soit violentes. Michel Desmurget cite encore de nombreuses autres études obtenant des résultats similaire (“TV lobotomie”, p. 219-221).

La violence médiatisée affecte aussi la compassion, par le phénomène d’habituation (décrit dans l’article “l’apprentissage par l’action”). Michel Desmurget rapporte un certain nombre d’études en ce sens. Dans l’une d’elle, menée par Margaret Thomas en 1977, des enfants de 8-10 et des étudiants de faculté sont partagés en deux groupes, l’un regarde un film violent, l’autre un film non violent. Ensuite, les sujets sont invités à observer la vidéo d’une agression réelle. Pendant la vision de cette dernière vidéo, les expérimentateurs recueillent des marqueurs physiologiques d’émotion (pression artérielle, réponse électrodermale). Les résultats montrent que ces signaux sont fortement atténuées parmi les sujets ayant observé le film violent.
Michel Desmurget cite encore de nombreuses études montrant que des hommes exposés à des images violentes ont tendance à accepter plus aisément les violences physiques et morales faites aux femmes (“TV lobotomie”, p. 226-227). Il décrit par exemple l’étude de Charles Mullin et Daniel Linz de 1995 : des étudiants de faculté furent exposés à un film d’horreur tous les deux jours pendant six jours. Ceux-ci contenaient une charge particulièrement importante de violences sadique dirigées contre des femmes. Trois jours après la dernière projection, les étudiants furent exposé à des vidéos dans lesquelles des victimes féminines d’agressions violentes réelles racontaient en détail leur calvaire. Les résultats montrèrent que, en comparaison avec un groupe contrôle n’ayant pas participé aux projections, les étudiants ayant visionné les films d’horreur ressentaient moins d’empathie pour les victimes, qui étaient volontiers présentées comme responsables de leur malheur, et la gravité de leur traumatisme était fortement minimisé.

Prenez des individus éduqués, soumettez-les à des images violentes impliquant des comportements sadiques dirigés contre une femme, et nos joyeux lurons finiront par vous expliquer sans rougir que les victimes de viol sont des salopes qui ont bien cherché ce qui leur arrive et que de toute façon, tout cela n’est vraiment pas si grave
(Michel Desmurget “TV lobotomie”, p. 227)

Ces résultats sont à l’opposé des théories considérant la violence médiatisée comme un exutoire cathartique, et l’agressivité comme un besoin inné dont la quantité et l’expression dépendraient du programme génétique propre à chaque individu.

L’imitation de la violence médiatisée a des conséquences tragiques aussi dans le domaine du sexe. L’éducation sexuelle des adolescents se fait bien souvent par le visionnage de films pornographiques, rendus largement accessible au travers d’internet. Or, dans la pornographie, le plaisir trouve sa source principalement dans l’humiliation et l’asservissement de la femme. Les jeunes filles apprennent donc, avec plus ou moins de succès, à trouver du plaisir dans ces mises en scène, pour plaire à leur partenaire. Il est difficile de mesurer à quel point ce phénomène aliène la capacité des jeunes gens à établir un véritable contact amoureux, tendre et empathique, et à puiser dans cette connexion une forme plus épanouissante et durable de désir.

Plus gravement encore, on peut s’interroger sur la relation entre l’exposition à la pornographie et une plus grande propension à commettre des viols. Nous avons déjà cité les études rapportées par Michel Desmurget, concernant l’effet du visionnage de films d’horreur sur la réduction de l’empathie envers les femmes victimes de violence. Chez certains hommes et jeunes garçons, les modèles visuels peuvent aller jusqu’à effacer la frontière entre le fantasme et le réel.

Il est difficile toutefois de conduire des expériences rigoureuses en la matière, cela impliquerait de mettre en péril la sécurité des femmes pour les besoins d’une expérience. Les études se basent donc le plus souvent sur la collecte de témoignages.

Ainsi, l’étude “Pornography and Sexual Violence” de Robert Jensen et Debbie Okrina (en anglais), rapporte des entretiens menés par Diana Russell qui montre que, chez certains hommes, la pornographie rend le viol désirable, et réduit l’habilité de certaines femmes à éviter et résister au viol (Russell, 1998, p. 121).
Robert Jensen a lui-même réalisé des entretiens avec des consommateurs de pornographie et des auteurs de crimes sexuels, qui l’ont amené à conclure que la pornographie peut être un facteur important pour former une vue de la sexualité en terme de “mâle dominant”, qu’elle peut être utilisée pour initier les victimes et détruire leur résistance à des actes sexuels indésirables, réduire la séparation entre fantasme de réalité, et à procurer un mode d’emploi pour les criminels (Dines & Jensen, 2004).

Voici quelques uns des témoignages de ces deux études :

Une prostituée rapporte les propos d’un certain John qui se fâche et lui dit : “Je sais tout de vous, salopes, tu n’es pas différente, tu es comme les autres. J’ai tout vu dans les films. Vous aimez être tabassées” Il la pousse ensuite violemment “Je l’ai vu tout à l’heure. Il l’a frappé en la violant et elle lui a dit qu’elle adorait. Dis-moi que tu aimes” (Silbert & Pines, 1984, p. 864).

Une autre femme rapporte : “Mon mari aime les films pornographiques. Il essaie de me faire faire ce qu’il voit d’excitant dans les films. Cela inclut des plans à deux ou à trois. Je refuse toujours. Ainsi, il est toujours obsédé par l’idée de mettre des objets dans mon vagin, jusqu’à ce que j’apprenne que cela n’était pas aussi pervers que je le pensais. Il avait l’habitude de me forcer et de mettre ce qu’il voulait en moi.” (Russell, 1980, p.226).

Un homme de 34 ans qui a violé des femmes et abusé sexuellement de fillettes, dit : “Il y avait plein de sexe oral que je voulais qu’elle me fasse. Il y avait des moyens pour l’attirer dans les films, et j’essayais ça sur elle, et cela ne marchait pas. Quelques fois je devenais frustré et c’est là que je commençais à la frapper … J’ai utilisé beaucoup de force, beaucoup de demandes directes, que les femmes dans les films auraient juste fait. Et je lui demandais des choses. Et si elle ne le faisait pas, je la frappais.” (Dines, Jensen & Russo, 1998, p. 124).

Autres conséquences

Michel Desmurget montre aussi les effets de la télévision sur le sommeil, les troubles alimentaires, la consommation excessive d’alcool et le tabagisme.

L’effet de la télévision sur les consommations pathogènes est particulièrement révélateur des dégâts d’une économie fondée sur l’abondance de la consommation.
La télévision se finançant de plus en plus grâce à la publicité, elle fait des téléspectateurs des “super-consommateurs”, ce qui a des conséquences encore plus graves chez les enfants, et boucle le cercle vicieux d’un système économique dont l’issue ultime est la destruction de la nature.

Il est incontestable que le mode de vie citadin favorise la forte consommation télévisuelle : la circulation automobile et les affaires d’enlèvements d’enfants incitent les parents à garder les enfants en sécurité à la maison, avec leur smartphone, leur ordinateur, la console de jeux et la télévision. Le travail hors de la maison et les temps de trajets réduisent le temps disponible, l’attention et la patience des parents. Enfin, dans de nombreux foyers, les pères n’assument pas, ou pas assez, les charges parentales et ménagères qui devraient pourtant leur revenir autant qu’à la mère, lorsqu’elle aussi travaille (voir à ce sujet, l’amusante bande dessinée d’Emma).

Quelques notes bibliographiques de “TV lobotomie” par Michel Desmurget :

Etat des lieux :
“Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle 1987-2007”, Ministère de l’éducation nationale, 2008 (PDF)
“Vaincre l’échec à l’école primaire”, Institut Montaigne, avril 2010 (PDF)
“Rentrée 2008 : évaluation du niveau d’orthographe et de grammaire des élèves qui entrent en classe de seconde”, collectif Sauver les lettres
“Baromètre annuel du rapport à l’école des enfants de quartiers populaires”, par Trajectoires Groupe Reflex, juin 2013 (PDF)
“Teenage Life Online”, Amanda Lenhart, Olivier Lewis, Lee Rainie, 2001
“Public Policy, Family Rules and Children’s Media Use in the Home”, Kelly L. Schmitt, 2000 (PDF)

Violence :
“La violence à la télévision”, rapport de Blandine Kriegel, nov 2002
“Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent”, rapport de l’Inserm, 2005 en particulier le chapitre 7 “Impact des médias”

Sommeil :
“Tout savoir sur le sommeil > le sommeil de l’enfant” par L’institut National du Sommeil et de la Vigilance
“Television Viewing, Computer Game Playing, and Internet Use and Self-Reported Time to Bed and Time out of Bed in Secondary-School Children”, Jan Van den Bulck, 2004 (PDF)

Troubles alimentaires :
“Marketing télévisé pour les produits alimentaires à destination des enfants”, UFC-Que Choisir, 2010

Performances cognitives et scolaires :
“The Remote, the Mouse, and the No. 2 Pencil”, Dina L. G. Borzekowski, 2005 (PDF)
“The Impact on Children’s Education: Television’s Influence on Cognitive Development” Daniel R. Anderson & Patricia A. Collins

La mémoire

Des expériences en psychologie montrent les différents facteurs pouvant intervenir dans l’efficacité de la mémoire.

Les conclusions de ces expériences rapportées ici m’ont été enseignées par Hervé Devos, professeur de psychologie du travail, au Conservatoire National des Arts et Métiers de Lille, année scolaire 1997-1998.

Effets liés au matériel pédagogique

L’effet de répétition

Plus un événement est répété, meilleur est sa rétention. Une certaine forme de redondance est donc utile dans les exposés, mais avec des formulations différentes, afin de favoriser la décontextualisation.

La loi de distribution (loi de Jost)

La rétention est meilleure lorsqu’on alterne des pauses entre les apprentissages (apprentissage distribué) et lorsque les pauses ne sont pas trop longues, que lorsque tout est appris à la fois (apprentissage massé).

L’apprentissage global et l’apprentissage partiel

Ils correspondent à la distinction entre apprentissage massé et distribué mais en ajoutant une dimension d’organisation ; il s’agit de la manière dont on va découper le matériel. L’apprentissage partiel consiste à découper le matériel en petites parties accessibles au public concerné. Les différentes parties sont apprises séparément, les unes après les autres. L’apprentissage global consiste à apprendre le matériel par cœur dans son intégralité. L’efficacité pédagogique du découpage dépend du niveau d’expertise des étudiants par rapport à la complexité du contenu et de la forme : moins le sujet est familiarisé avec la discipline considérée ou plus le matériel lui est complexe, plus l’apprentissage partiel est efficace. L’apprentissage global est plus efficace pour l’expert-e car il/elle perçoit la logique qui se dégage du texte global et sélectionne les détails intéressants.

Matériel imagé et matériel verbal

Les personnes n’ont pas les même facilités à retenir deux présentations du même concept. Certaine personnes retiennent mieux un matériel imagé (dessins, courbes, schémas…) et d’autres un matériel verbal. Les deux types de présentation sont donc intéressants à utiliser simultanément pour s’assurer d’une compréhension par l’ensemble des apprenants.

Les effet de récence et de primauté

Les expériences de mémorisation de listes de mots montrent que l’on retient mieux en mémoire à court terme le début (effet de primauté) et la fin (effet de récence).
En mémoire à long terme, c’est à dire lorsque le rappel est différé de quelques jours, seul le début du message est retenu. Les publicitaires connaissent bien ce phénomène, c’est pourquoi les informations les plus désirables sont souvent présentées au début et parfois à la fin de la publicité. Par ailleurs, il leur est préférable d’être au début ou à la fin des séries publicitaires.
Au niveau pédagogique, les effets de récence et de primauté démontrent l’utilité d’une introduction et d’une conclusion contenant l’essentiel de l’information que l’on souhaite transmettre.

L’effet de familiarité

Plus un mot est familier, plus il est facile à mémoriser, grâce aux structures préexistantes en mémoire. Une application pédagogique est la présentation d’exemples familiers pour illustrer un cours complexe.

L’effet de significativité

Plus un matériel est significatif par rapport à l’expérience concrète de l’individu et mieux il sera retenu. Une application pédagogique est de placer les travaux pratiques avant le cours.

L’effet d’interférence

L’interférence proactive (ne pas retenir de nouvelles informations) survient lorsque les nouvelles informations appartiennent au même champ sémantique que les précédentes. Il est donc utile dans l’organisation de l’emploi du temps des élèves de ne pas faire suivre des disciplines fort ressemblantes (par exemple un cours d’italien après un cours d’espagnol).

L’effet de catégorisation

Plus un matériel est composé d’unités catégorisables, plus il est facile à retenir. C’est pourquoi il est préférable de présenter le plan de l’exposé avant le cours. Cet effet se rapproche de celui de l’apprentissage partiel, mais en insistant sur le découpage par catégories sémantiques.

L’effet de complexité du matériel

L’empan mnésique est de 7 plus ou mois 2 éléments. Il semble que cette découverte de Miller (1956) résulte plutôt du laps de temps nécessaire pour énoncer les items qu’il avait choisis. Une application pédagogique consiste à regrouper les informations en titres de catégories dont le temps nécessaire à leur énonciation correspond au laps de temps découvert implicitement par Miller. Si le nombre de catégories est trop élevé, on peut établir des regroupements en super-catégories (contenant chacune un nombre mémorisable de catégories) respectant un temps d’énonciation mémorisable. Ainsi les informations sont structurées en une hiérarchie accessible instantanément en mémoire.

L’effet de discrimination

Pour être perçu, un stimulus doit être bien discriminé de son environnement. Ce sont les gestaltistes qui ont découvert et utilisé cette loi. Cela signifie en pédagogie que l’effet parasitaire d’un bruit de fond dû aux bavardage en amphi, par exemple, peut être neutralisé en créant un contraste entre la hauteur tonale (grave / aigu) de l’enseignant et celui des élèves.

L’effet du temps

Plus le temps passe et plus le souvenir s’estompe, mais la facilité à remémorer augmente.
On distingue par ordre de rétention décroissante :

La reconnaissance

On présente au sujet une information et on lui demande de juger parmi plusieurs informations celle qu’il a déjà rencontrée. Les QCM fonctionnent selon ce paradigme.

La reconstruction

Les informations présentées au sujet sont représentées dans le désordre, le sujet doit remettre le matériel dans l’ordre initial.

Le rappel libre

Le sujet rappelle l’information qui lui a été présentée dans l’ordre qui lui convient.

Le rappel ordonné

Le sujet rappelle l’information dans l’ordre qui lui a été présenté. Il s’agit d’un croisement du paradigme de reconstruction et du paradigme de rappel libre (l’exigence est double).

mémoire vs reconnaissance

L’oubli est plus rapide pour le rappel, puis pour la reconstruction. La reconnaissance est presque stable au cours du temps.

Effets liés au sujet

L’effet de la motivation

Un minimum de motivation est requis pour mémoriser. Mais un excès de motivation provoque du stress et la mémorisation est moins bonne.

Memoire et motivation

Il est donc important de savoir gérer son stress en situation d’examen. Pour aider la personne anxieuse, plusieurs solutions sont possibles : les thérapies cognitivo-comportementales proposent la “désensibilisation systématique”, il s’agit d’affronter la situation anxiogène au fur et à mesure d’étapes de plus en plus stressantes jusqu’à la situation final pour laquelle le sujet poursuit la thérapie. Chaque étape s’accompagne d’exercices de relaxation. Cette mise en situation progressive peut s’illustrer dans le domaine scolaire par les examens blancs. Une autre forme de thérapie consiste à immerger totalement le sujet dans la situation anxiogène. Le risque encouru est alors une fuite définitive du sujet. Une autre solution pour pallier les réactions neurovégétatives est de pratiquer un sport.

L’effet du sommeil

L’effet du sommeil correspond à plus grande échelle à l’effet des pauses entre les apprentissages (loi de distribution de l’exercice). Les études de Montagner montrent que le taux de performance d’un enfant est corrélé au nombre d’heures de sommeil.

L’effet de certaines drogues

A faible dose, l’alcool, le cannabis, la caféine peuvent diminuer l’anxiété et par conséquent augmenter la vigilance. Mais cet effet est d’avantage lié à une autosuggestion psychique qu’aux effets chimiques réels de ses substances, par exemple en associant le souvenir de la consommation à une pause, la pause étant prétexte aux premières prises, puis, par apprentissage associatif, la substance se suffit à elle même. Mais cet effet psychologique est minime. Par contre un excès de ces substances provoque une nette altération de la mémoire. C’est souvent dans la recherche de l’effet initial que des personnes aboutissent à l’excès, produisant ainsi exactement l’effet contraire à celui qu’ils espèrent.

L’effet des lésions cérébrales

Les effets produits par divers types de lésions cérébrales montrent que nous n’avons pas une mémoire unique. L’aphasie de Wernicke par exemple (confusions sémantiques dans le discours verbal) s’accompagne systématiquement d’une lésion du lobe temporal gauche, nous pouvons en déduire que cette zone cérébrale gère les connexions entre les caractéristiques phonologiques et le contenu sémantique du langage.

L’apprentissage coactif

L’apprentissage coactif est un moyen d’apprendre par interaction avec les autres. Divers facteurs interviennent dans l’efficacité de l’apprentissage coactif. Nous verrons l’influence du style de leadership, de la disposition spatiale, de la nature de la tâche, les moyens d’améliorer l’empathie, puis nous étudierons les phénomènes de polarisation collective et de rumeurs.

Le leadership

La notion de leader s’entend ici au sens d’animateur, qui n’est pas nécessairement choisi par le groupe. Pour étudier l’effet du style de commandement dans une dynamique de groupe, Lipitt et White proposent à 3 groupes d’enfants la construction d’un décor de théâtre en compagnie d’un animateur par groupe. Chaque semaine un style de leadership différent est appliqué :

– Un leadership autoritaire : l’adulte prend toutes les décisions concernant les activités, l’attribution des tâches et ne dévoile rien à l’avance. Il reste à l’écart du groupe pour tout ce qui n’est pas directement lié à la tâche.

– Un leadership démocratique : les décisions à prendre sont soumises au groupe qui en discute avec la participation de l’adulte. Dès que les enfants buttent sur un problème technique l’adulte essaie de fournir au moins deux alternatives. Chaque enfant est libre de travailler avec qui il veut.

– Un leadership « laisser-faire » : l’adulte laisse aux enfant une totale liberté d’activité et d’organisation. Il se contente de repréciser la tâche, d’indiquer les équipements disponibles et ne donne son aide que lorsqu’un enfant la demande. En aucun cas il n’évalue positivement ou négativement, mais il essaie d’être amical plutôt que distant.

Les résultats concernant la productivité du groupe révèlent une efficacité maximale pour le groupe démocratique, puis le groupe autoritaire. Le groupe « laisser-faire » est très peu productif. Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par concernant l’efficacité d’une structure décentralisée pour une tâche créative. Par ailleurs lorsque l’animateur s’absente, les groupes démocratique et « laisser-faire » continuent leur activité tandis que le groupe autoritaire s’interrompt.

La mesure de l’agressivité au sein des groupes montre qu’un style de commandement autoritaire produit une agressivité intergroupe, le style « laisser-faire » une agressivité maximale et intragroupe, et le style démocratique annihile pratiquement toute agressivité, les enfants étant plus investis dans l’activité créative.

De nos jours, les écoles françaises adoptent le style de leadership “laissez-faire” (ce qui signifie qu’il n’y a pas de leadership du tout). De nombreux gouvernements qui ont tenté en vain la démocratie ont en fait échoué à développer un leadership démocratique (n’ayant à la place que corruption) et sont tombés dans un régime autoritaire (religieux) en raison des dommages causés par la liberté totale des personnes, ce qui développe la loi du plus fort. Je soupçonne que ce sera aussi le destin du monde occidental.

Apprendre l’empathie

Pour mieux travailler ensemble de façon démocratique, il est essentiel de comprendre son prochain, donc de cultiver de l’empathie, c’est à dire la capacité de s’identifier à l’autre et de comprendre et anticiper ses idées et ses émotions.
Plusieurs exercices peuvent être réalisés par des adultes comme par des enfants afin de cultiver l’empathie.

L’organisation Ashoka propose aussi un document avec des exercices pratiques (en anglais), à destination des écoles et des familles. Les exercices sont groupés en 3 étapes :
– la préparation (en début d’année pour une école), qui consiste à créer un environnement sûr pour les participants
– l’engagement, où se déroulent des jeux de groupes, des narrations, et de la résolution de problème en groupe
– la réflexion et l’action, où les participants identifient leurs valeurs communes et leurs différences, et se donnent le courage d’agir.
Voici quelques exemples d’exercices à faire en groupe, tirés de ce document :

– Exemple d’exercice de l’étape préparatoire : faire des groupes de 3 ou 4 où chacun donne des mots qui répondent à la question : “comment voulez-vous vous sentir en cours tous les jours ?”. Puis rassembler tous ces mots sur un tableau, repérer les mots plus communs et donner aux participants la possibilité de défendre certains de ces mots. Puis les participants votent pour 3 mots, et les 5 mots les plus populaires vont former l’objectif que chacun doit s’efforcer de respecter. Une autre étape consiste à discuter de la façon dont cet objectif pourra être respecté. Par exemple, sur le mot “respect”, chacun peut donner des exemples de la façon dont l’on peut se respecter au quotidien (par exemple ne pas interrompre, regarder dans les yeux, etc)

– Exemple d’exercice de l’étape d’engagement : Lire une nouvelle ou un fait historique, puis chacun répond aux questions suivantes devant le groupe : comment vous sentiriez-vous si vous étiez à la place de tel personnage ? Comment ce personnage se sent selon vous et comment le savez-vous ? Pouvez-vous vous souvenir d’une occasion où vous vous êtes senti pareillement ? Qu’est-ce qui a amené le personnage à faire tel choix ? Qu’auriez-vous fait différemment dans cette situation ? A quel personnage de l’histoire vous identifiez-vous le mieux et pourquoi ?

– Exemple d’exercice de l’étape de réflexion et d’action : Les participants relatent, chacun à leur tour, une occasion où elles et ils ont vu un autre enfant se faire importuner ou insulter, et comment ils se sont sentis en voyant cela. Puis, chacun propose des actions à réaliser lorsque la même chose se produit à l’avenir, à soi ou à d’autres (par exemple dire ce que l’on ressent, trouver un-e ami-e, demander de l’aide, s’éloigner…).

En ce qui concerne la violence entre enfants, notamment les souffres douleurs, mon expérience personnelle m’a enseignée que le plus grand risque pour un enfant est d’être isolée.
Un enfant isolé est un enfant en danger.

Harcèlement scolaire
Apprendre l’empathie à l’école peut empêcher la création de souffre-douleurs

Il y a aussi des exercices intéressants utilisés en théâtre d’improvisation. Par exemple :
– Chacun des membres du groupe, tour à tour, réalise pendant une ou deux minutes, des mouvements lents que les autres imitent.
– Former un cercle, se tenir la main, et “faire passer un courant” en se serrant la main du sens opposé à celle qu’on reçoit. La personne qui a émis le courant en première peut en émettre un ou deux autres dans le sens opposé.
– Une personne parle et une autre, derrière elle, fait les mains, en ayant des geste significatifs par rapport au discours ou des manies (ex : se gratter le menton ou les cheveux).
– Guider une autre personne qui a un bandeau sur les yeux, puis inverser les rôles.
– En cercle, former ensemble une phrase, où chacun à la suite complète le morceau de phrase de l’autre (verbe, adjectif, groupe nominal, etc, mais pas de « petits mots » tels que « la », « de », etc)
– Improviser une scène sur un sujet, par exemple : une jeune fille rentre très tard à la maison et ses parents expriment leur inquiétude.

La disposition spatiale

Leavitt (1951) propose une tâche collective à 5 sujets : il s’agit de trouver les figures manquantes sur 5 cartes de 5 figures, sachant que chaque sujet possède une carte avec une figure manquante différente et qu’il faut parvenir à 5 cartes identiques. Chaque sujet passe une carte à la fois par autre sujet. Leavitt fait varier la disposition des membres du groupe : en cercle, en chaîne, en roue ou en Y.

Disposition en cercle
Disposition en cercle
Disposition en chaîne
Disposition en chaîne
Disposition en roue
Disposition en roue
Disposition en Y
Disposition en Y

Et il mesure le nombre d’échanges d’informations et la satisfaction des membres.

Les résultats montrent que les structures centralisées (roue et Y) sont plus efficaces que les structures décentralisées (cercle et chaîne) : elles nécessitent moins d’échanges d’informations pour parvenir à la solution, mais les seuls membres satisfaits sont ceux qui se trouvent au centre des échanges (D et surtout C), ressentis par les autres comme leaders, car ce sont eux qui dirigent le flux d’informations. Les structures décentralisées produisent une satisfaction plus équilibrée entre les membres du groupe mais sont mois rapides à résoudre le problème.

La nature de la tâche

Faucheux et Moscovici ajoute un facteur à l’expérience de Leavitt : la nature de la tâche, et proposent deux types de tâches collectives :

– une tâche de créativité (l’arbre de Riguet) : il s’agit d’obtenir le plus de figures différentes des figures a, b, c, à partir d’une figure initiale, les figures fermées étant exclues.

Figures de référence
Figures de référence
Figure initial
Figure initiale
Figure fermée
Figure fermée

– une tâche de résolution de problèmes (figure d’Euler) : il s’agit de remplacer les cases X et Y par une lettre entre A et D et un chiffre entre 1 et 4, sans répéter, dans un même ligne ou une même colonne, un chiffre ou une lettre, et sans utiliser A1, B2, C3 ou D4.

Figure de Euler
Figure de Euler

Figure d’Euler

Faucheux et Moscovici montrent ainsi que les structures décentralisées sont plus efficaces pour la tâche de créativité tandis que les structures centralisées sont plus efficaces pour la tâche de résolution de problème. Par ailleurs ils observent que si on laisse le groupe se structurer seul, il prend spontanément la disposition la plus efficace par rapport à la nature de la tâche.

La polarisation collective

Dans les années 50, il était d’usage de penser que les décisions prises par les groupes modéraient les décisions individuelles. James Stoner (1961), étudiant en Gestion Managment aux USA, décida de vérifier ce présupposé. Des sujets sont interrogés à propos de divers dilemmes, individuellement, en groupe, puis à nouveau individuellement. Par exemple, un ingénieur doit décider entre conserver son présent travail, avec un salaire modeste mais correct et l’assurance de la stabilité de l’entreprise, et prendre un nouveau poste au salaire élevé dans une entreprise qui vient tout juste d’être créée et qui n’a pas encore fait preuve de sa durabilité. Les sujets prennent leur décision par rapport à une échelle de chances, dans notre exemple de l’ingénieur, changera-t-il de poste sachant que les chances de succès sont de 5 sur 10, 3 sur 10 ou 1 sur 10. Quand Stoner compare les décisions de groupe aux décisions prises avant par les mêmes individus, il observe une augmentation de la prise de risque, cette nouvelle opinion restant stable lors d’une seconde mesure individuelle.
D’autres résultats montrent que la décision de groupe peut résulter en une diminution de la prise de risque par rapport aux décisions individuelles.
Les décisions collectives tendent à accentuer les positions initiales des membres du groupe
Cet effet est appelé “la polarisation collective”.
Plusieurs explications ont été proposées. Voici les deux principales :

– L’influence informative : les membres du groupe apprennent de nouvelles informations et entendent de nouveaux arguments mais ils ont tendance à soulever plus d’arguments en faveur de leur position initiale que contre. Ils biaisent ainsi la discussion et poussent la décision finale plus loin dans la direction des positions initiales.

– L’influence normative : les personnes comparent leur point de vue initial avec la norme du groupe. Ils peuvent ainsi ajuster leur position pour se conformer à la position majoritaire. Le groupe fournit en effet une toile de références qui induit ses membres à percevoir leur position initiale comme trop faible ou trop modérée.

D’autres études montrent que l’implication personnelle des membres du groupe augmente la polarisation collective, et que la position initiale d’un leader directif dirige la polarisation collective vers sa décision.
Pour montrer ce phénomène, Janis (1982) établit une étude historique sur trois échecs américains :
– L’affaire de Pearl Harbor (1941) : les militaires en place avaient prévenu les quartiers généraux aux U.S.A. d’une possible attaque par l’aviation japonaise, mais l’information fut ignorée.
– La guerre de Corée (1950) : les Américains avaient prévu d’envahir la Corée du Nord communiste, mais l’intervention chinoise avait été sous-estimée.
– Le débarquement en Baie des cochons (1961) : la stratégie américaine n’a pas pris en compte les aspérités du terrain (présence de montagnes, par exemple).

Il ressort de cette étude que les échecs étaient tous dus à une polarisation collective lors des discussions en conseils militaires ou gouvernementaux, vers les positions initiales d’un leader trop directif. Cela ne signifie pas que la présence d’un leader est nuisible, mais qu’il doit être formé à la dynamique de groupe. Il doit pouvoir encourager la participation, les arguments contradictoires et leurs résolutions dialectiques, la diversification des points de vue et poser pour consigne le respect mutuel. Il ne prend pas position avant que la discussion commence. Janis prescrit en plus le renouvellement des réunions (pour laisser un temps de réflexion individuelle et une seconde chance), la présence de personnes jouant “les avocats du Diable” et d’experts pour tempérer le phénomène de polarisation.

Les fondements des rumeurs et leur propagation

Les rumeurs sont un dangereux phénomène de polarisation collective. Elles interviennent particulièrement dans la désignation de boucs émissaires. Elles peuvent aussi influencer des témoignages, des membres d’un jury, donc des décisions de justice, des actions politiques ou militaires…

Elles furent étudiées par les psychosociologues Allport et Postman (1945). Au cours de la guerre du Viêt-nam, une rumeur se propagea à propos de dégâts disproportionnés occasionnés par l’échec de Pearl Harbor. Bien que Roosevelt ait démenti cette interprétation, un sondage effectué auprès d’étudiants avant et après le discours révèle que l’inquiétude persista. Pour comprendre ce phénomène (la naissance et la persistance des rumeurs), ils analysent 1000 types de rumeurs recueillies en 1942, ils constatent qu’à l’intérieur d’un groupe, la propagation des rumeurs concernant un sujet déterminé est en rapport direct avec l’importance et la nature ambiguë de ce sujet pour la vie de chacun des membres du groupe. Le contenu des rumeurs est généralement hostile (60% sur les 1000 rumeurs étudiées) ou expriment une peur (25%).

Allport et Postman effectuent une expérience sur 40 groupes de sujets pour analyser les processus cognitifs à l’œuvre dans la propagation des rumeurs. Dans chaque groupe, 6 ou 7 sujets se portent volontaires pour sortir tandis que le reste des sujets observe une image.

Exemple d'image utilisée dans l'étude d'Allport & Postman, 1945
Exemple d’image utilisée dans l’étude d’Allport & Postman, 1945

Un sujet entre et voit l’image, puis elle est retirée et un second sujet revient pour écouter la description de l’image par le premier sujet. Les autres sujets rentrent un par un pour écouter la description transmise par le dernier l’ayant entendue. L’analyse de la transformation des discours montre les processus suivants :
– la réduction : le message tend à se simplifier et à se raccourcir au fur et à mesure des transmissions, jusqu’à être facilement mémorisable dans son intégralité.
– l’accentuation : le message est transmis en sélectionnant et en exagérant certains détails.
– l’assimilation : le contenu du message reflète les habitudes, intérêts et sentiments des transmetteurs.

La mémoire collective accomplit, en quelques minutes, une réduction équivalente à celle accomplie par la mémoire individuelle en quelques semaines.

D’une manière générale, la structure du message s’adapte, d’une part au fonctionnement cognitif humain, d’autre part à des représentations individuelles et culturelles chargées émotionnellement. L’intervention des lois du fonctionnement cognitif apparaît dans les effets suivants :
– la cohérence des messages ou leur assimilation au thème principal, comme les textes rappelés par les sujets de Bartlett : si dans l’image, un camion de la Croix-Rouge apparaît chargé d’explosifs, il est décrit comme transportant du matériel médical.
– le besoin de retenir une structure spatio-temporelle : la première phrase situe le message, “ceci est une scène de bataille” par exemple.
– une rétention meilleure des symboles familiers et significatifs : dans certaines images, l’église et la croix.
– l’ajout d’explications : “un accident a eu lieu”.

Les représentations sociales et leurs charges émotionnelles apparaissent par exemple dans l’image stéréotypée des noirs révélés par les déformations : le couteau passe de la main du blanc à celle du noir, le nombre de noirs est accentué…

Allport et Postman concluent ainsi : “Nous parlerons de ce triple processus de transformation (réduction, accentuation, assimilation) comme d’un processus de consolidation. Il ressort de toutes nos expériences, ainsi que des autres recherches effectuées dans ce domaine, que tous les sujets se heurtent à la difficulté de saisir et de retenir, dans leur objectivité, les stimuli venant du monde extérieur. Pour pouvoir s’en servir, ils doivent les restructurer afin de les ajuster à leurs marges de compréhension et de rétention d’une part, à leurs intérêts et besoins personnels de l’autre. Ce qui était extérieur devient intérieur, ce qui était objectif devient subjectif. Le noyau d’information objective reçu par l’individu est si profondément intégré au dynamisme de sa vie mentale que la transmission d’une rumeur est surtout un mécanisme de projection. L’individu projette dans la rumeur les déficiences de ses processus de mémorisation ainsi que ses efforts pour donner un sens à un matériel ambigu. Le résultat reflète ses propres besoins émotionnels, y compris ses angoisses, ses désirs, ses haines. Lorsque plusieurs agents de transmission sont impliqués dans le processus de propagation de la rumeur, le résultat de la série de reproductions reflète le plus petit dénominateur commun des besoins culturels, de l’ampleur de la mémoire et des sentiments et préjugés du groupe.”

S’unir autrement

Nous avons questionné le modèle patriarcal, bâti sur la brutale loi du plus fort. Quelles pourraient être les alternatives à ce modèles ?

Dans “L’apprentissage coactif“, nous avons évoqué différents styles de leadership et des moyens d’améliorer l’empathie.

Je propose ici quelques réflexions sur la manière dont les êtres humains s’unissent de façon plus intime, dans le couple, le sexe et la famille.

Le couple

L’amour est une source de force et de joie de vivre, il peut amener à développer des qualités et des compétences laissées en sommeil, et la pensée d’être dans les bras de la personne aimée nous plonge dans un bonheur absolu.
Nous sommes naturellement portés les uns vers les autres, nous avons besoin les uns des autres. Un bébé ne survit pas sans l’attachement des siens.
Une véritable connexion ne peut s’établir qu’entre personnes ayant pleinement conscience d’être égales, car alors seulement, nous pouvons estimer l’autre suffisamment pour compter sur son intelligence, éprouver une grande empathie et apprendre à le connaître en profondeur, au lieu de se fier à l’image stéréotypée que l’on a de son sexe.

Un contact authentique entre deux personnes demande de la patience et du courage.
Cela passe par la simple présence de l’autre, dans différentes circonstances. Petit à petit, nos sens caressent la personne que nous commençons à aimer. Nous nous baignons dans cette proximité. Elle demeure dans le rêve qu’elle nous laisse. Ce rêve baigne chacune de nos impressions et les colore. Nous vivons plus intensément.

Il n’existe qu’une seule réalité, celle qui est restituée par nos sens. Il n’existe qu’un seul autre être au monde qui vit dans une réalité similaire à la nôtre. Il s’agit d’un autre être humain. Lorsque nous regardons une autre personne, nous croyons apercevoir un avatar produit par notre esprit, un homme ou une femme, avec un visage, un corps, des vêtements. Mais ces avatars ne sont qu’une partie des multiples créations de notre être, qui est une conscience pure. La personne que nous contemplons a elle-même a des avatars devant les yeux, et elle soigne l’avatar qu’elle espère voir dans le regard de l’autre. Mais, en fait, elle est, tout comme nous, le monde entier se reflétant dans une conscience.

Ce qui fait l’essentiel des différences entre hommes et femmes, ou celles que nous nous imaginons, c’est le genre. Le genre sexuel est une de ces comédies d’adulte qu’on nous inculque de gré ou de force. Notre réalité est bien plus immense et elle n’a pas de sexe, ni d’âge, ni de couleur de peau, ni d’origine sociale, culturelle ou géographique, ni même d’espèce. Notre réalité est pure conscience.

Le sexe

Le désir sexuel est flexible. Il est influencé par l’image de soi. L’image de soi est créée par interactions avec les autres et par les modèles qui s’offrent à nous, qui sont encore fortement imbibés de culture patriarcale.
Les femmes qui viennent d’un milieu qui voit le plaisir sexuel comme source de dégradation pour une femme, peuvent avoir des fantasmes particulièrement masochistes. Par crainte de ces élans pervers, certaines deviennent prudes et s’inhibent, ou au contraire, développe une sexualité où le plaisir trouverait sa source dans le fait de se faire salir et dominer.

Nos premières expériences sexuelles ont aussi une influence forte. Lorsqu’elles se produisent dans le mauvais contexte et entre de mauvaises mains, nos désirs peuvent s’orienter de façon perverse, y compris contre nous-mêmes.
Les premières images érotiques auxquelles on parvient à accéder en tant qu’adolescent-e, sont les magazines ou les sites pornographiques fait par et pour un certain type d’hommes, où les femmes sont systématiquement objéïfiées, soumises au plaisir masculin, simulant leur plaisir par des cris, ou ressentant de la douleur.

Ces images, sans forcément être imitées, peuvent causer du plaisir aussi aux femmes, et le plaisir peut se fixer sur ce genre de choses. C’est qu’il y a une cohérence entre ces images et l’image de la femme en général, ce n’est qu’une différence de degrés. Ce n’est pas le seul domaine dans lequel nous absorbons des désirs qui ne sont pas les nôtres à l’origine, et qui font de nous des consommateurs effrénés et sans éthique.
Le sexe prend sa source dans des instincts qui ne se soucient pas de morale. Les jeunes filles ne le savent pas assez, et du coup, peut-être que certaines en perdent de l’amour-propre.
La musique de nos sentiments est influencée par l’image de soi et des autres, et le sexe est le tempo de cette musique. C’est une force d’adaptation que la nature nous a donnée.

Si la mélodie change, le sexe change aussi, autrement dit si l’on est tentée par un plaisir qui nous salit ou salit l’autre, on peut choisir de changer l’image de soi et de son partenaire pour changer de fantasmes. On peut aussi choisir d’assumer ses fantasmes, ou même de les vivre, mais le risque existe de blesser l’autre, soit notre partenaire, soit les futur-e-s partenaires de notre partenaire à qui nous aurons transmis cette vision du sexe.

De plus, les hommes se sentent en position de mener la danse, insistent parfois pour obtenir ce qu’ils veulent, et les femmes acceptent puis se sentent sales après, honteuses d’avoir accepté ce qu’elle n’aurait pas dû accepter.
Lorsque l’homme est plus fort et que la femme est nue devant lui, il est intimidant, même si elle ne le montre pas. Par ailleurs, les femmes sont plus ou moins anesthésiées au cours de l’acte sexuel, de sorte que ce n’est qu’après qu’elles se rendent compte qu’elles ont laissé leur partenaire faire ce qu’elles ne voulaient pas vraiment.
Se laisser faire dans l’acte sexuel, pour une femme, est une réaction instinctive, archaïque. C’est la meilleure défense quand l’autre est plus fort. C’est comme cela que, pendant des milliers d’années, les femmes ont sauvé leur peau. On sait que si on attaque, on prend le risque de se faire démolir, en plus de se faire violer.

C’est pourquoi, la seule façon pour un homme de s’assurer que sa partenaire n’est pas en train de le laisser faire quelque chose qu’elle va regretter, c’est de se mettre à sa disposition à elle. Un homme respectueux et sûr de lui ne devrait pas avoir de problème avec ça.

La famille

En parlant de la loi du plus fort, nous avons questionné le modèle familial patriarcal. Mais quelles pourraient être les alternatives à ce modèle ?
Faudrait-il passer à un modèle plus naturel, avec une filiation, un héritage et une habitation, centrés sur la mère ?
Cela apporterait certainement une amélioration du sort des femmes en comparaison avec le modèle patriarcal. Dans les quelques sociétés qui vivent encore aujourd’hui selon ce modèle, par exemple les Mosuo (ou “Na”) de Chine ou les Khasi d’Inde, les femmes sont respectées, l’entre-aide entre les gens est forte, et les crimes et délits sont rares. Leur caractère pacifique révèle que c’est bien le statut de la femme qui est au cœur de la violence d’une société.

familles matristiques
Familles matristiques

Les Mosuo offrent un schéma familial particulièrement intéressant car il n’y a pas de mariage. Les relations amoureuses sont libres. La famille est constituée des frères et sœurs de même mère. Toutes les générations vivent ensemble dans une grande maison, et chacun aide. Les parents nourriciers des enfants sont tous les adultes de la famille, les frères et sœurs de la mère ainsi que ses parents, oncles et tantes maternel-le-s encore en vie. Cela offre une grande sécurité à l’enfant, car celle-ci ne dépend pas d’un lien amoureux entre les parents génétiques. Le père génétique de l’enfant aide les enfants de ses propres sœurs. Ce schéma n’est pas strict, car il arrive que des hommes aident une compagne dont le soutien familial est plus réduit, ou offrent des cadeaux à leurs enfants génétiques.

Bien que ces sociétés offrent de nouvelles perspectives, elles n’offrent pas toujours le niveau de liberté auquel un être humain est en droit d’aspirer. Le rôle de la femme est valorisé en tant que personne attachée à la maison et à la famille. Il peut lui être difficile de se détacher de ces responsabilités pour accomplir des études longues, voyager, faire de la recherche, créer, ou accomplir d’autres projets.

Non seulement le partage des tâches a l’avantage d’offrir à l’adulte une expérience de vie plus variée, mais cette diversité est bénéfique à l’enfant. L’adulte apprend au contact des autres. La femme au foyer est bien souvent isolée, confinée à des tâches intellectuellement peu enrichissantes et à la passivité devant la télévision. Par le contact avec d’autres et l’apprentissage de nouvelles activités, elle enrichit ses expériences, devient moins naïve, approfondit ses capacités empathiques, accroît ses capacités cognitives, et devient plus habile et plus forte dans l’éducation de l’enfant. Le père qui travaille acquière lui aussi des expériences qui peuvent être utiles à l’enfant. Inversement, l’expérience que développe l’homme ou la femme en tant que parent l’aide à être plus compréhensif, et donc plus efficace, dans le travail en équipe et le leadership, au niveau professionnel, associatif ou politique. Le cloisonnement traditionnel des rôles a finalement des effets aliénants aussi bien pour les adultes, hommes ou femmes, que pour l’enfant éduqué par ces mêmes adultes.

Peut-être qu’une répartition plus souple et plus équilibrée des tâches entre hommes et femmes, et une plus grande solidarité entre les gens en général, permettrait à tout à chacun d’avoir de la diversité et de la liberté, sans que cela affecte le souhait d’être en couple ou de faire des enfants ? Pour cela, avons-nous vraiment besoin de fonder une famille au sens traditionnel du terme, c’est à dire en unissant un homme et une femme selon les conditions du mariage ?
Le mariage est une institution conçue pour servir le modèle patriarcal : il s’agit de lier sexuellement une femme à un homme afin d’assurer la pureté de la filiation paternelle.
Dans le contexte contemporain du monde occidental qui refuse la contrainte sexuelle, cela se traduit par la volonté de concilier une relation établie sur la base d’un sentiment amoureux et un projet familial. Cela peut marcher dans certains cas, mais pas toujours. Par ailleurs, nous ne tombons pas amoureux(se) qu’une seule fois dans notre vie.
Des couples qui n’auraient pu tenir autrefois que par l’asservissement des femmes, se séparent. Les choix que nous possédons jettent aussi bon nombre d’entre nous dans l’isolement, ou dans une quête où l’amour se mêle au narcissisme et au consumérisme, ou encore, ironiquement, l’acceptation d’un retour à une structure patriarcale, la femme préférant prendre en charge les tâches domestiques et s’offrir au “devoir conjugal” (malgré la perte du désir), plutôt que quitter la sécurité matérielle offerte par le père.

Si nous avons du mal à trouver une personne qui soit à la fois un-e géniteur/génitrice, un-e amoureux/amoureuse, un-e ami-e, un-e cohabitant-e, un-e père/mère pour nos enfants, peut-être pouvons-nous envisager que différentes personnes remplissent une ou plusieurs de ces fonctions, pas nécessairement les mêmes à différents moments de la vie car chacun change, ou renoncer à certaines de ces fonctions (certaines personnes peuvent être plus heureuses en vivant seules ou sans enfant).

Peut-être qu’au lieu d’avoir un contrat de mariage englobant à la fois la solidarité mutuelle, le devoir parental et la fidélité sexuelle, nous devrions avoir un contrat de solidarité mutuel, avec ou sans cohabitation, et un contrat de responsabilité parental partagé, dans lequel l’enfant n’hérite pas systématiquement du nom du père, et aucun des contrats n’aurait de clause sexuelle. Par conséquent, deux personnes, y compris des membres d’une même famille, par exemple un frère et une sœur, ou deux ami-e-s, pourraient conclure un contrat de responsabilité parental ou de solidarité mutuelle, ou les deux.

Peut-être n’avons-nous pas besoin de contrats, mais d’apprendre à travailler ensemble et à développer plus d’empathie et de solidarité entre les gens. Peut-être devrions-nous reconstituer des tribus de gens solidaires les uns aux autres, sans nécessairement vivre à plein temps avec d’autres.

L’humanité a vécu pendant des milliers d’années sous forme tribale. Les mères n’étaient pas seules à élever leurs enfants, elles pouvaient compter sur leurs sœurs, leurs frères, et sur tout le clan (voir ci-dessous des extraits de “Les mères et les autres” par Sarah Blaffer Hrdy). Les hommes n’étaient pas seuls à assurer la sécurité de leur famille, tout le monde s’en chargeait. Cela n’allait certainement pas sans conflits ni injustice, mais personne n’était isolé dans sa misère.

Nous devrions apprendre à travailler ensemble pour le bien commun, et cet enseignement devrait faire partie des objectifs de l’école

Si les enfants apprenaient à se respecter et à s’aider les uns les autres dès leur plus jeune âge, il ne fait aucun doute que les adultes qu’ils deviendraient seraient en mesure de construire eux-mêmes le bon système de solidarité.

Lorsque le chacun pour soi domine, les femmes sont en position de faiblesse pour négocier le partage des tâches dans le couple. D’une part, elles disposent souvent d’un revenu moindre que leur compagnon. D’autre part, elles ont besoin d’être aidées lorsque leur corps est au service de l’enfantement. Les couples tombent donc facilement dans un mode de fonctionnement patriarcal, où la femme sacrifie sa carrière et prend sur elle la plupart des tâches domestiques, ce qui creuse encore l’écart de salaire entre les deux et accentue le pouvoir matériel de l’homme.

Les mère dont les revenus ne suffisent pas à nourrir une famille, ou qui souhaitent offrir plus de temps à leurs enfants, n’ont guère d’autre choix que la dépendance à un homme. Les allocations familiales sont généralement insuffisantes, et tout le monde ne disposent pas, dans son entourage, de personnes pouvant aider.

Lorsque des familles se séparent, bien souvent, la femme doit assumer les charges domestiques et familiales seule tout en exerçant une activité professionnelle. Elle vit un esclavage quotidien et souffre, parfois jusqu’au “burn out”. De leur côté, beaucoup d’hommes divorcés se retrouvent seuls avec l’obligation de payer une pension alimentaire, ce qui leur donne le sentiment d’être dépouillé de leur argent aussi bien que de leurs enfants. A côté de cela il y a plein de gens isolés, de tous âges et dans toutes les couches sociales.
Ces situations sont symptomatiques d’une société qui tente de se délivrer de l’injuste modèle patriarcal, mais qui n’a pas assez appris à s’unir par solidarité et non par obédience à une autorité.

Cet handicap est visible même dans les associations les plus humanitaires. J’ai vu autant de conflits, de narcissisme, d’absence d’écoute et d’empathie, d’usage et d’abus d’autorité, d’usage de boucs émissaires et des rumeurs, dans des associations telles que la Croix Rouge, que dans les entreprises les plus capitalistes, où je recevais au moins une gratification salariale.

Peut-être devrions-nous aussi questionner l’idéologie nataliste. Celle-ci contribue non seulement à l’asservissement de la femme, mais aussi à la destruction de la planète. Peut-être devrions-nous remplacer l’idéologie nataliste par une idéologie de non-souffrance, qui implique de se poser la question “Naître est-il dans l’intérêt de l’enfant ?”, comme le suggère Jean-Christophe Lurenbaum dans son ouvrage du même nom.

Dans tous les cas, il n’existe probablement pas un modèle idéal pour tous, mais des modèles qui conviennent aux uns et pas aux autres. La libération des femmes a cassé l’obligation d’une structure qui rendait beaucoup d’entre elles malheureuses, et qui ne rendaient pas toujours les hommes heureux non plus. Les gens étaient simplement résignés. Aujourd’hui nous avons le choix, ce qui nous permet d’avoir accès à l’amour, la liberté, une vraie complicité ainsi qu’un meilleur développement personnel, mais au prix d’essais et d’erreurs, en s’adaptant aussi aux aspirations de son ou ses partenaires, que l’on soit femme ou homme.

Les mères et les autres

Sarah Blaffer Hrdy, anthropologue et professeure émérite à l’Université de Californie, a publié plusieurs ouvrages sur le rôle des mères dans l’évolution humaine. Elle explique que c’est la relation mère-enfant qui a dirigé l’évolution de l’animal vers l’humain, en développant l’empathie.

Dans un article intitulé Mothers and Others (les mères et les autres) dans Natural History Magazine, elle décrit l’importance de la coopération dans le soin et l’éducation apporté-e-s aux enfants :

Ces aides autres que la mère, appelés alloparents par les sociobiologistes, ne se contentent pas de protéger et de nourrir les enfants. Dans des groupes tels que les Pygmées Efe et Aka d’Afrique centrale, les alloparents portent les enfants et les emmènent partout avec elles. Dans ces communautés très unies – au sein desquelles hommes, femmes et enfants continuent de chasser avec des filets, à l’instar de ce que l’on pense des humains il y a des dizaines de milliers d’années – frères et soeurs, tantes, oncles, pères et grands-mères, portent l’enfant au premier jour de la vie. Lorsque l’anthropologue Paula Ivey de l’Université du Nouveau-Mexique a demandé à une femme d’Efe: “Qui s’occupe des bébés ?”, La réponse a été immédiate : “Nous tous !”. À l’âge de trois semaines, les bébés sont en contact avec des alloparents 40% du temps. À 18 semaines, les bébés passent plus de temps avec leurs alloparents qu’avec leur mère biologique. En moyenne, les bébés Efe ont quatorze alloparents différent-e-s, dont la plupart sont des parents proches. Selon Barry Hewlett, anthropologue de l’Université d’État de Washington, les bébés Aka sont portés par leur père plus de la moitié de la journée.

Pygmées Aka
Pygmées Aka

Mais les alloparents doivent être compétents et attentionnés. Ce n’est pas toujours le cas, par exemple dans les garderies, comme l’explique Sarah Blaffer Hrdy:

L’étude NICHD a montré que la garderie était meilleure que la mère seulement si celle-ci était négligente ou abusive. Mais en excluant ces scénarios, l’étude a montré que la garderie n’a pas d’effet néfaste que si les bébés entretenaient au départ une relation sûre avec leurs parents (ce qui, selon moi, signifie que les bébés se sentaient désirés) et seulement lorsque la garderie était de haute qualité. Le terme “haute qualité” signifie que l’établissement disposait d’un effectif suffisant de nourrices fidèles et réceptives aux besoins des nourrissons.
En termes clairs, ce type de garderie est presque impossible à trouver. Là où il existe, c’est cher. Les listes d’attente sont longues, même pour des soins peu coûteux ou inadéquats. Le turn-over dans les garderies est de 30% par an, principalement parce que ces travailleurs touchent à peine le salaire minimum (en général moins que les gardiens de parking). En outre, les garderies séparent les enfants en fonction de leur âge. Ainsi, même dans les garderie sans turn-over, les enfants se déplacent chaque année vers de nouveaux adultes. Il est peu probable que ce type de garderie favorise des relations de confiance.