Le travail collectif, le débat d’idées, la pensée philosophique ou le progrès des sciences humaines, sont couramment perturbés par des erreurs logiques que l’on appelle “sophismes”, ou encore “arguments fallacieux”.
Voici une liste non exhaustive :
– Attaquer la personne plutôt que les idées.
– Déformer les propos de l’autre pour l’attaquer.
– Confondre corrélation et causalité : ce n’est pas parce que deux phénomènes surviennent ensemble que l’un est la cause de l’autre.
– Présenter deux alternatives possibles, ou “tout noir” ou “tout blanc” lorsqu’il peut y en avoir d’autres, par exemple considérer que l’on est soit “pro-migrant”, soit raciste.
– Croire qu’une idée est juste parce qu’une majorité de gens la partage.
– Croire qu’une idée juste est une idée “entre deux” ou “dans la moyenne”, autrement-dit, chercher le compromis plutôt que la vérité. Par exemple : au Maroc, il y a des femmes qui vont cheveux libres, d’autres portent un voile qui couvre les cheveux, d’autres se couvrent le visage. Le “juste milieu”, pour la plupart des marocains, est donc le voile qui couvre les cheveux. Pourtant, dans d’autres cultures, la frontière de la pudeur est différente.
– Invoquer “Dieu”, “la nature”, “la détermination génétique” ou une quelconque idéologie, pour empêcher la critique. Par exemple : affirmer que les femmes ne sont pas bonnes en mathématiques, parce que c’est dans leurs gènes.
– Croire qu’une idée est vraie parce qu’elle est émise par des experts. Personne n’est infaillible, donc être expert n’affranchit pas de devoir argumenter et prouver son propos.
– Croire qu’une idée est vraie parce qu’on ne peut pas prouver son contraire. Par exemple, Dieu existe parce qu’on ne peut pas prouver qu’il n’existe pas.
– Faire d’un seul exemple une généralité.
– Présumer que l’alternative qu’on préfère est vraie lorsqu’un propos est ambigu.
– Faire appel aux émotions, par exemple utiliser le chantage sentimental ou brandir la menace d’une catastrophe.
– Répondre à une critique par une autre critique, au lieu de démonter la critique elle-même.
– Croire qu’une idée est fausse parce qu’elle utilise des arguments fallacieux. Bien que les sophismes présentés ici peuvent conduire à l’erreur, cela ne signifie pas que toutes les idées émises de la sorte sont fausses. Cela signifie qu’elles doivent être démontrées avec plus de rigueur méthodologique.
Pour étendre cette liste à l’ensemble des phénomènes pouvant empiéter un débat, citons aussi :
– Parler plus fort que son interlocuteur, et ainsi donner le sentiment à son auditoire qu’on est “le plus fort”. Cela ne signifie pas que le propos est plus pertinent.
– Les interruptions : l’interlocuteur croit connaître la fin du discours de l’autre ou bien ne se préoccupe pas de ses idées, et se permet donc de le couper. En sus de témoigner de l’agressivité, de l’arrogance et de perturber la concentration de la personne qui parle, une interruption peut donner au propos un sens tout à fait différent de celui qu’il devait avoir. J’ai été très embarrassée un jour lorsque, dans une association féministe, j’ai voulu dire : “On fait souffrir les femmes avec des pressions idéologiques pour les empêcher d’avorter, mais et les hommes alors ? N’ont-ils pas une responsabilité dans ces drames ?”, et qu’une féministe m’a coupée après “et les homme alors ?”, pour dire qu’en effet, ce n’était pas juste pour son fils, dont les copines pouvaient se faire avorter contre son gré à lui. Les unes et les autres étaient si pressées d’exprimer leur révolte que je n’ai pas eu l’occasion de compléter mon propos.
Ces phénomènes handicapent aussi le fonctionnement d’une démocratie, puisque cette dernière s’appuie sur les débats d’idées. Les débats parlementaires et autres échanges médiatisés devraient donc idéalement être cadrés pour les éviter, par exemple, en formant les participants, en les rappelant à l’ordre, en coupant le son des microphones des autres lorsqu’une personne s’exprime, etc.
La vie contemporaine nous a progressivement éloigné de la réalité sensorielle en la replaçant par des réalités symboliques, qui ont du sens pour la communauté humaine. Ce faisant, cette dernière nous enferme dans sa comédie.
Les symboles réalisent une association entre des éléments de la réalité et une manière simplifiée de les représenter, comprise par les autres. Il peut s’agir du langage, sous forme orale et écrite, des mathématiques, des algorithmes de programmation, etc.
Les symboles nous permettent de communiquer avec notre prochain, et notre prochain est source d’attachement et de survie. Pour cette raison, les symboles prennent une importance telle qu’ils en viennent à supplanter et atrophier la réalité sensorielle.
Autrement-dit, ils sont aussi sources d’une certaine forme d’aliénation. L’enfant s’éloigne progressivement de son intelligence animale, son imprégnation sensorielle totale, pour une réalité symbolique qui simplifie la réalité dans un schéma compris par l’espèce humaine.
L’importance du verbe dans les édifices d’espoirs et de peurs de l’humanité que sont les religions est emblématique de son pouvoir, particulièrement dans les religions basées sur l’écriture que sont les religions Abrahamiques.
La Bible et la Torah nous enseignent que tout commence par une parole divine :
Dieu dit: “Que la lumière soit!” Et la lumière fut. La Bible, Ancien Testament, Génèse, 1:3
Saint-Jean est plus explicite. Il affirme :
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. La Bible, Nouveau Testament, Evangile de St Jean, 1:1
Le Coran nous dit :
C’est le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute, c’est un guide pour les pieux. Le Coran, Al Baqarah (La vache) 2:2
Autrement dit, la vérité est contenue dans un livre, dans des mots.
Pourtant, le verbe est une invention récente, apparu avec notre espèce, c’est-à-dire il y a quelques centaines de milliers d’années. C’est une goutte d’eau dans l’océan du temps cosmique. Une goutte d’eau dans l’histoire de la nature elle-même, âgée de plusieurs centaines de millions d’années, si l’on en croit les scientifiques.
Le Tao-Te-Ching est plus prudent. Le mot Tao désigne « la voie ». Le Tao Te Ching peut-être traduit par « Le livre de la voie et de la vertu », ou encore « Le livre de la voie vertueuse ». Les plus vieux fragments de ce récit ont été datés au 3e siècle avant notre ère, mais certains pensent que la philosophie qu’il décrit est beaucoup plus ancienne.
Le Tao Te Ching nous dit :
La voie qui peut être dite n’est pas la voie éternelle. Tao Te Ching, chap. 1
Qu’est-ce donc que le verbe ?
Je propose la définition suivante : le verbe est un ensemble de symboles, qui représente chacun un aspect redondant de la réalité. Le symbole est un élément graphique ou sonore. L’humanité utilise ces symboles pour communiquer avec son prochain et réaliser des prédictions, afin de prendre le contrôle de la nature.
Mais la perfection de nos symboles n’existe pas dans la réalité. Un rond parfait n’existe pas, un chat ne ressemble jamais parfaitement à un autre, un et un font deux dans la réalité si les deux unités sont parfaitement égales, ce qui n’est jamais vrai. La réalité n’est pas dans les concepts. La réalité n’est pas dans le verbe. La réalité est impure, chaotique.
Nous pouvons nous souvenir ou fouiller le passé à la manière d’archéologues, ou bien nous projeter dans l’avenir, nous n’en tirons que des idées. La réalité est sensorielle. Même si nos sens sont limités, ils nous offrent une réalité plus fiable que nos concepts, qui eux sont toujours trop simples, trop parfaits.
Certaines personnes réalisent ce qu’elles perdent dans le processus de remplacement de la réalité sensorielle par une réalité symbolique ou virtuelle, et il leur faut une grande pratique de l’art, de la méditation, ou de la musique, pour retrouver un peu de la béatitude du bébé, tout entier livré à ses sens, aussi confiant dans le ventre de la nature que dans le ventre de sa mère.
La science, qui décortique les éléments de la nature en les décrivant au moyen de symboles, nous coupe des merveilles de la réalité, qui pourtant pourrait être présentée en même temps que les schémas enseignés sur les bancs de l’école.
Combien savent que les protéines, les ouvrières de nos cellules, dont on schématise la structure, comme toutes les molécules, au moyen de boules colorées pour les atomes, retenues par des bâtons, peuvent se joindre pour former une structure qui se plie plusieurs fois sur elles-mêmes pour atteindre des formes complexes adaptées à leur fonction, parfois même de micro-moteurs capable de mouvoir une flagelle ? Et lorsque ces protéines sont concentrées à l’état pur, elles s’agglomèrent pour former de superbes structures cristallines reflétant la lumière sur une multitude de couleurs ?
Pour figurer une cellule, on représente un patate pour la membrane, avec dedans un rond pour le noyau, des boudins ridés pour les mitochondries, des boudins longilignes pour l’appareil de Golgi, des bâtons pour les protéines, etc…
Mais lorsqu’on observe des organismes unicellulaires au microscope, on est émerveillée par la beauté et la complexité de ces délicats édifices.
Nous ne jurons plus que par la science, au point de voir d’anciens rituels comme étant d’archaïques superstitions. Par exemple, dans les campagnes françaises, on avait coutume de faire des bouquets avec des épis de blé lors de la fête de la moisson, et de les suspendre dans les maisons pour apporter la prospérité. Ces rituels révèlent autant que maintiennent l’attachement à la terre.
Makilam, dans “La magie des femmes Kabyles et l’unité de la société traditionnelle” décrit la perception des cycles de la nature pour le peuple Kabyle du temps de sa grand-mère :
Aujourd’hui, “l’homme moderne” peut se distancier par rapport au macrocosme et le considérer de l’extérieur. Il peut en effet grâce à la logique de sa pensée graphique et rationnelle s’abstraire et se projeter en dehors du système solaire. […] Mais les peuples de la nature ne raisonnaient pas, ils vivaient à partir d’eux-mêmes et se référaient à ce qu’ils voyaient et percevaient dans l’ensemble de leurs sens, à l’encontre de « l’homme moderne » qui a fait siennes les lois de la science rationnelle. Dans son raisonnement, celui-ci se dissocie de lui-même en tant qu’entité corporelle quand il ne perçoit la réalité que par la pensée. Il ne vit ainsi qu’un aspect de sa nature humaine puisqu’il se projette mentalement en dehors de l’endroit et du moment précis dans lequel il se trouve. En conséquence le calendrier écrit ne reproduit plus le temps sidéral car il ne se lit plus dans le ciel. Cette nouvelle forme de pensée linéaire implique la séparation de la personne humaine du reste de la nature terrestre dont elle ne dépend plus pour l’organisation de ses activités matérielles. Sur le plan de la conscience, l’être humain d’aujourd’hui se perçoit comme séparé de la vie de la Grande Nature et vit en permanence la dualité de sa nature par rapport à la vie d’ensemble cyclique de son environnement.
L’enfant qui n’a pas encore acquis la parole est sans doute dans cet état de perception du réel non effacé derrière des concepts, celui qui fut le nôtre à l’aube de l’humanité. Quand on est petit, on voit des quantités au lieu de les compter. On observe la réalité au lieu de la concevoir. Une table en bois n’est pas une table en bois pour un bébé. C’est une montagne plate avec au-dessus un univers de rayures et d’ellipses sur différentes nuances de brun.
Alors qu’il y a très longtemps, l’humanité quittait le règne animal en acquérant une conscience angoissée de sa mortalité inexorable, alors qu’elle peignait la vie animale sur les parois des grottes et taillait des corps maternelles, avant que l’art, la technique, l’exploration, ne soient réservés à une élite masculine, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, nous vivions davantage sur une réalité sensorielle, immédiate. Nous n’avions pas d’autre choix car nous guettions le danger et affrontions l’adversité. Nous n’apprenions pas tant de concepts, dont les préjugés font partie. Nous étions plus instinctifs. Nos pensées étaient plus teintées de sensations. Seule la nature, bien plus belle et variée qu’aujourd’hui, s’offrait à nos sens.
Petit à petit, le verbe et autres projections mentales ont remplacé la réalité sensorielle, pour l’humanité en évolution comme pour l’enfant qui apprend à parler. Car le verbe nous permet de communiquer avec nos semblables, et rien n’est plus important qu’eux. Beaucoup de nos projections mentales non verbales sont aussi en rapport avec les autres. Ils sont notre garantie de survie. Mais comme ces symboles nous coupent de la réalité, notre prochain devient encore plus important, car il devient notre source de satisfaction principale.
Ainsi, la réalité a petit à petit laissé place à une pièce de théâtre bien prévisible, avec soi comme acteur principal, dont les scènes et les rôles sont toujours les mêmes, et dont le public n’est que soi-même. Nous nous sommes éloignés de notre condition d’animal en perdant une grande partie de notre attache sensorielle. Nous nous sommes éloignés de l’élan de vie qui nous a fait naître, la matrice originelle, la nature. Dans la redondance de notre pièce de théâtre, notre esprit meurt.
Nous sommes coincés comme des poules en cage, dans un bureau, un appartement, une voiture ou autre moyen de transport, des tunnels de béton gris et de macadam. La grisaille de nos murs s’accompagne de celle de nos sons, ceux des voitures, des travaux… des bruits de nous-mêmes, murmurés à la télé, autour de nous, et en cycle infernal dans notre esprit. Les odeurs et saveurs sont devenues tout aussi grises, aseptisées de pesticides, engrais, hormones, souffrance animale, des pauvres, de la Terre.
Dans la préhistoire, bien que nous devions parfois souffrir physiquement, nos sens étaient en alerte et nous luttions pour survivre. Nous avions la rage au ventre. Désormais, coincés dans nos cages, nous donnons des coups de bec dans les cages d’à côté.
Lorsque nous vivions dans des cavernes, nous devions compter les uns sur les autres. Mais maintenant, nous sommes enfermés dans la comédie sinistre des gens déguisés, et c’est ce déguisement qui détermine le confort apporté par les autres.
Nous sommes aliénés. Nous avons perdu le sens de notre vie. Nous avons perdu nos instincts.
Lorsque j’étais au lycée, j’avais un professeur de mathématiques particulièrement sexiste. Il nous disait que les femmes étaient plutôt douées pour les lettres, et les hommes pour les mathématiques. Il y croyait si fort, qu’un jour, il a fait une erreur de calcul en comptant mes points sur une copie : il m’avait mis 8 au lieu de 14 / 20. J’ai compté les points devant lui, et il a dû se plier à l’évidence, ce qui l’a mis très en colère.
Les préjugés sexistes influent aussi la manière de percevoir les objets d’étude, lorsque ceux-ci ont rapport au vivant, donc à des êtres sexués. Cela est particulièrement notable dans l’étude du monde animalier, l’Histoire et l’archéologie.
Les observations animalières
L’organisation sociale animale est souvent décrite par projection de nos modes de vie. Finalement, les documentaires animaliers en disent plus sur nos préjugés et nos aspirations narcissiques, que sur les animaux eux-mêmes. A ce biais s’ajoute le besoin de rendre l’image commercialement attractive.
Le mythe du mâle dominant
Dans les groupes d’animaux où une compétition belliqueuse entre mâles existe, on observe qu’il y a, de ce fait, des groupes avec un nombre plus important de femelles que de mâles. Parfois il n’y a qu’un seul mâle, ou bien un seul des mâles peut s’accoupler avec les femelles. Les commentateurs en déduisent qu’il s’agit du “mâle dominant” et de son “harem”. Mais par cette expression “mâle dominant”, on pourrait comprendre qu’il domine aussi les femelles. Peut-être est-ce le cas chez certains de nos proches cousins primates, mais les choses semblent moins évidentes au sujet d’autres espèces telles que, par exemple, les cervidés, les bovins, les loups, les éléphants ou les félins. Le mâle restreint t’il l’espace des femelles, contrôle t’il leurs actions, comme le fait un homme qui dispose d’un harem d’épouses ? Est-il violent envers les femelles comme il l’est avec d’autres mâles ? Par ailleurs, peut-on parler de harem si les femelles s’accouplent parfois avec d’autres mâles, comme on le voit souvent dans ces groupes ?
En observant, par exemple, une meute de lionnes avec un lion, on pourrait aussi changer de perspective et se dire qu’il s’agit d’un groupe de lionnes qui se partagent un mâle, qui est peut-être choyé parce qu’il est unique, mais qui ne les domine pas pour autant.
Les choses peuvent être différentes, cependant, lorsque les animaux sont dans une situation anxiogène, comme le fait de vivre en cage. La promiscuité, le manque de stimulations sensorielles, le manque d’espace pour s’ébattre, induisent des comportements agressifs, chez les animaux comme chez les humains, mâles ou femelles. Dans ce cas, les plus forts ont un avantage, ce qui est le cas des mâles dans certaines espèces.
Le mythe du mâle protecteur
On a coutume de dire que le mâle protège la ou les femelles du troupeau. Mais au contraire, il est bien souvent une menace pour les petits. La femelle doit lutter contre lui ou l’amadouer par le sexe, particulièrement parmi les mammifères pratiquant une compétition entre mâles.
Il y a des exceptions toutefois : lorsque le mâle endosse un rôle nourricier (par exemple, l’albatros). Alors il devient une seconde “mère” et protège les petits et le territoire avec elle.
Le besoin de vendre
Afin d’offrir du sensationnel, on voit surtout des scènes de prédations et de combats entre mâles. Or ces activités ne constituent pas l’essentiel du temps animal. Ceux-ci, mâles ou femelles, passent aussi du temps à explorer, se reposer, se nettoyer, mâcher des plantes, jouer, s’entraider ou se faire des câlins. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux nous offrent une vision bien différente du monde animal : – Quelques scènes de tendresse animale, partagée par Animals Australia. – Entre-aides animales, compilation de plusieurs vidéos amateurs. – Attachement humains – animaux chez des chasseurs cueilleurs (tribu amazonienne des Awas), par Survival International.
Finalement, les documentaires animaliers les plus honnêtes sont ceux qui ne s’accompagnent d’aucun commentaire, d’aucune musique autre que celle de la nature elle-même, et qui offre des scènes fidèles au quotidien animal, afin de laisser à celles et ceux qui ont la joie de découvrir ces enregistrements le bonheur d’observer et d’entendre la nature telle qu’elle nous est offerte.
L’Histoire et l’archéologie
Merlin Stone, dans son œuvre “Quand Dieu était femme”, a analysé de nombreux écrits sur la foi païenne qui a précédée les religions Abrahamiques, particulièrement celle qui se tournait vers une image féminine du divin. Elle écrit : Dans la plupart des textes archéologiques, la religion de la femme est définie comme “un culte de la fertilité”. Ce terme est révélateur des attitudes adoptées face à la sexualité par les différentes religions contemporaines qui ont influencé les auteurs de ces textes. Pourtant l’archéologie et l’histoire fournissent des preuves de l’existence d’une divinité féminine, créatrice et ordonnatrice de l’univers, prophétesse, maîtresse de la destinée humaine, inventrice, guérisseuse, chasseresse et combattante courageuse, autant de preuves qui indiqueraient que le terme “culte de la fertilité” ne serait qu’une grossière simplification d’une structure théologique complexe.
Riane Eisler, auteure de “Le calice et l’épée” tente, elle aussi, une interprétation du nombre abondant de figurines féminines que l’on retrouve dans les vestiges du Néolithique et de l’Antiquité, particulièrement en Europe et au Moyen Orient. Elle s’interroge pareillement sur le choix du terme “culte de fertilité” employé par les archéologues. Elle note que ce terme est probablement aussi réducteur que le fait de qualifier les crucifix chrétiens de “culte de la mort”, si ceux-ci s’avéraient être découvert dans le futur par une humanité qui a oublié la religion chrétienne.
Les académiciens ont régulièrement fait référence au culte de la déesse, non pas en tant que religion, mais en tant que “culte de la fertilité” et à la déesse en tant que “mère de la terre”. Mais si la fécondité des femmes et de la terre était, et est toujours, une condition requise pour la survie des espèces, cette description est beaucoup trop simpliste. Ce serait comparable, par exemple, à qualifier le christianisme de simple culte de la mort parce que l’image centrale de son art est la crucifixion. Riane Eisler, “Le calice et l’épée”, 1987
Merlin Stone donne d’autres exemples flagrants d’observations altérées par les préjugés de genre sexuel :
J. Maringer, professeur d’archéologie préhistorique, rejetait l’hypothèse selon laquelle les crânes de rennes constituaient les trophées de chasse des tribus paléolithiques, et pour cause, on en avait trouvé dans la tombe d’une femme. “Le squelette en question étant celui d’une femme, cela semble éliminer la possibilité que ces crânes et ces bois de rennes aient pu être des trophées de chasse”, écrit-il. […] Le professeur Walter Emery, qui avait participé aux fouilles des plus anciennes tombes égyptiennes, décrivit en 1961 une série d’erreurs qui avaient été commises à l’époque. “L’âge et le statut de Meryet-Nit sont incertains, nous dit-il, mais nous avons des raisons de croire qu’elle aurait pu succéder à Zer et être la troisième souveraine de la Première Dynastie”. Il continue en parlant de la fouille de la tombe de Meryet-Nit par Flinders Petrie en 1900: “A cette époque, on croyait que Meryet-Nit était un roi, mais des recherches ultérieures prouvèrent que ce nom était celui d’une femme et, à en juger d’après la richesse de la tombe, d’une reine…”. En 1896, Morgan, alors directeur du département des Antiquités, découvrit à Nagadesh une gigantesque tombe. D’après les objets qu’on y trouva, elle fut identifiée comme la demeure funéraire de Hor-Aha, premier roi de la Première Dynastie. Toutefois, la poursuite des recherches a montré qu’il s’agissait plutôt du sépulcre de Nit-Hotep, mère de Hor-Aha. Et toujours d’après W. Emery: “Sur la masse de Narmer, il y avait un personnage assis dans un palanquin recouvert d’un dais. On le prit d’abord pour un homme, mais en le comparant avec des figures semblables trouvées sur une planchette de bois à Sakkara, il apparut qu’il s’agissait presque sans aucun doute d’une femme”. Pourtant, après avoir rejeté les vieilles hypothèses selon lesquelles les tombes les plus riches et les palanquins royaux ne pouvaient appartenir qu’aux hommes, ce même auteur retombe dans le même type de raisonnement lorsqu’il décrit la tombe du roi Narmer: “Ce monument est presque insignifiant, comparé à la tombe de Nit-Hotep à Nagadesh. Nous pouvons seulement en déduire que ce n’est là que la chambre funéraire méridionale du roi et que son véritable tombeau reste encore à découvrir…”. Bien que certains pharaons se soient fait construire deux tombeaux, on aurait pu s’attendre à un “peut-être” ou à un “probablement” plutôt qu’à une conclusion aussi absolue, qui exclut implicitement la possibilité qu’une tombe de reine, à l’époque de la Première Dynastie, ait pu être plus grande et plus richement décorée que celle d’un roi.
L’actualité archéologique surprend par le nombre d’erreurs de ce type, révélées par les méthodes modernes d’analyse.
Le Palais de Knossos en Crète en est un autre exemple. Les vestiges révèlent de nombreuses fresques qui, dans leur reconstitution, montrent des êtres humains, des animaux, des végétaux. Un grand nombre de ces fresques montrent des femmes, joliment parées et aux seins dénudés. Des figurines de femmes tenant des serpents ont aussi été trouvées.
Le premier ayant rapporté une analyse de ce site est l’archéologue Arthur John Evans. Il conclut qu’il s’agit du palais d’un roi et de son harem. D’après le reportage Arte “Enquêtes archéologiques – Crète, le mythe du labyrinthe” par Peter Eeckhout, des analyses plus récentes ont montré que la gravure de l’homme qu’Evans prétend être celle d’un roi, a été construite à partir de plusieurs pièces trouvées à des endroits différents du site. Les chercheurs ont par ailleurs trouvé, dans une salle au siège surélevé, la gravure d’une femme assise sur un siège identique. Aujourd’hui, la plupart des chercheurs s’accordent pour dire que le palais était initialement un domaine de prêtresses, et qu’une femme siégeait sur le trône, mais que le site a du connaître plusieurs systèmes de gouvernance par la suite, car les constructions les plus récentes semblent révéler des rapports hiérarchiques absents des constructions plus anciennes.
Bien souvent, lorsque des fouilles sont menées sur des tombes dont les restes du squelette ne permettent pas d’identifier le sexe, les archéologues considèrent que les tombes avec des armes sont des tombes d’hommes tandis que les tombes avec des bijoux sont des tombes de femmes. Lorsque ces résultats sont popularisés, on en déduit que depuis l’aube de l’humanité, les hommes portent des armes et les femmes des bijoux. C’est une logique fallacieuse, un des maints exemples de la façon dont les préjugés s’auto-entretiennent.
En fait, lorsqu’on réalise une analyse plus rigoureuse des os, on observe qu’il y a bien des femmes enterrées avec des armes, et des hommes avec des bijoux. Shane Mac Leod, de l’Université Western Australia, a ainsi montré que des femmes étaient enterrées avec des armes dans des tombes vikings en Angleterre. La même observation est faite par des chercheur-se-s des universités d’Uppsala et de Stockholm sur le site de Birka en Suède, en réalisant cette fois des analyses génétiques sur les os. Jeannine Davis-Kimball constate, elle aussi, que des femmes sont enterrées avec des armes, dans des tombes Kurganes dans le site de Porkovka au Kazakhstan.
Un sophisme identique existe dans la détermination du sexe des australopithèques. Les plus petits squelettes sont attribués à des femmes (c’est le cas de la célèbre Lucy). Le bio-anthropologue Robert Martin, dans un reportage d’Arte “Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ?” de Véronique Kleiner, révèle que c’est une prise de position arbitraire. Des squelettes plus gros ont été attribués à des australopithèques mâles, mais, selon lui, il pourrait aussi s’agir d’une autre espèce. Tout ce qui est certain, dit-il, c’est que l’on a des grands spécimens et des petits spécimens. Ce partage arbitraire peut conduire à l’idée que le dimorphisme sexuel était important au début de l’humanité, et cette idée sert alors de référence aux examens et théories futures.
Merlin Stone note que de nombreux écrits anciens sont assez vagues pour donner de grandes différences d’interprétation entre les traducteurs et, dans ce cas, l’influence de leurs préjugés est encore plus forte. C’est une constatation que tout à chacun peut faire, en observant la diversité des traductions qui ont été proposées pour des textes très anciens, tels que des écrits hiéroglyphiques ou cunéiformes.
Quelques fois, dans ces traductions, des informations sont ignorées car elles ne sont pas jugées utiles, mais, de ce fait, une partie de l’état d’esprit de la culture qui a fait naître ces textes, est perdue.
Voici un exemple typique sur “Les maximes du discours juste”, du vizir Ptahhotep, écrit en hiéroglyphes sur papyrus au cours de la Ve dynastie (2494-2345 avant JC) et conservé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF). Voici la 5e maxime, d’après une traduction de Wim van den Dungen, gracieusement partagée sur maat.sofiatopia.org : (73) Si vous êtes un homme qui dirige, (74) chargé de diriger les affaires d’un grand nombre (75) cherchant tous les actes les plus justes (76) pour que vos actions soient irréprochables. (77) Grande est Maat, durable ses effets. (78) Imperturbable depuis le temps d’Osiris. (79) On punit celui qui transgresse la loi, (80) bien que le cœur qui vole l’ait regardé de haut. (81) La bassesse peut saisir la richesse (82) cependant le crime ne débarque jamais sa marchandise. (83) Il dit : « j’acquière pour moi-même » (84) Il ne dit pas « J’acquière pour ma fonction » (85) A la fin, c’est Maat qui dure (86) L’homme dit : « C’est le domaine de mon père »
La plupart des traductions sont moins littérales que celle présentée ci-dessus, qui peut paraître confuse. La Déesse Maat est simplement appelée “justice”, “vérité”, ou encore “loi” ou “règle”, dans d’autres traductions, excluant ainsi l’élément spirituel féminin, pourtant bien présent dans les écritures égyptiennes. Voici par exemple une traduction partagée sur egyptos.net (le nom du traducteur ou de la traductrice n’est pas précisé) :
Si tu es un guide, chargé de donner des directives à un grand nombre, cherche, pour toi, chaque occasion d’être efficient, de sorte que ta manière de gouverner soit sans faute. Grande est la règle, durable son efficacité. Elle n’a pas été perturbée depuis le temps d’Osiris. On châtie celui qui transgresse les lois, même si cette transgression est le fait de celui au cœur rapace. L’iniquité est capable de s’emparer de la quantité, mais jamais le mal ne mènera son entreprise à bon port. Celui qui agit mal dit : j’acquiers pour moi-même ; il ne dit pas : j’acquiers au bénéfice de ma fonction. Quand vient la fin, la règle demeure. C’est ce que dit un homme juste : tel est le domaine de mon père spirituel.
Le concept de Maat des maximes de Ptahhotep n’est pas sans rappeler celui du Tao. Dans le Tao Te Ching de Lao Tse, le mot Tao désigne la voie, l’équilibre, la conduite, la source, la mère primordiale… La Tao Te Ching connaît lui-même une grande diversité de traductions. Certains traducteurs mettent en avant l’essence maternelle du Tao tandis que d’autres l’excluent totalement. Une intéressante comparaison est proposée sur ttc.tasuki.org
Toutefois, pourrions-nous nous dire, les préjugés ne sont ils pas bâtis, finalement, sur une réalité ? Lorsqu’on regarde autour de nous, même avec un effort d’objectivité, la domination des hommes sur les femmes, et la loi du plus fort en général, n’est-elle pas partout ? N’est-il pas légitime de ce fait d’en déduire qu’il a du en être ainsi depuis la nuit des temps ?
En fait, il existe bien des exceptions au patriarcat. Quelques sociétés ont adopté un système de filiation de type matrilocal et matrilinéaire, c’est à dire que les filles, ou seulement l’une d’entre elles, restent au domicile des parents et héritent de leur propriété, tout en prenant soin d’eux dans leur grand âge. Il s’agit par exemple des Garo ou des Khassi du Meghalaya, des Mosuo de Chine, des Minangkabau d’Indonésie, des Iroquoi d’Amérique… Des récits d’explorateurs font état de plusieurs autres sociétés ayant fonctionné selon ce système, avant que la quasi totalité des peuples ne soit assujettie à des systèmes religieux ou philosophiques d’essence patriarcale, tels que le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, les lois de Manu de l’hindouisme, le Confucianisme…
La manière de vivre d’une société humaine dépend aussi de conditions environnementales et de contacts avec d’autres civilisations. Lorsque ces éléments de l’environnement changent, la manière de vivre change aussi.
Il est probable qu’il y a bien longtemps, lorsque l’humanité était moins nombreuse et donc moins sujette aux conflits, une grande partie de l’humanité au moins, ait respecté la filiation naturelle qui lie l’enfant à sa mère bien plus qu’à son père. Peut-être aussi que le développement de pôles commerciaux attractifs, de cités, a favorisé une agglomération de populations qui, si elle sont mal protégées, deviennent facilement les proies des plus violentes et des plus pillardes d’entre elles, pour qui un système de filiation qui avantage le plus fort ne paraît pas contre nature. Quoi qu’il en soit, faire d’une moyenne de ce que l’on observe aujourd’hui une généralité globale, immuable, voire idéale, conduit certainement à l’erreur.
L’Histoire est aussi un outil de pouvoir, car on tend à tirer les leçons du passé pour améliorer l’avenir. Il suffit donc de manipuler la version officielle de l’Histoire pour faire accepter certains idéaux.
Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé George Orwell, “1984”, publié en 1949
Les programmes scolaires et universitaires, les musées, les documentaires, ignorent le foisonnement de découvertes basées sur des outils modernes, ou un point de vue inhabituel, qui seraient de nature à fissurer le dinosaure que constitue le courant officiel.
Jean Piaget, chercheur en psychologie de l’enfant, décrit l’apprentissage selon deux processus : l’assimilation et l’accommodation. Le premier consiste à adapter l’information de l’environnement à notre structure de connaissances, le second adapte nos structures de connaissances aux informations de l’environnement.
Dans ma profession, la programmation informatique, il arrive fréquemment que les demandes varient de façon importante tout au long du projet, au point que, si l’on voulait bien faire, il faudrait revoir les fondations même du programme, ce qui rend le développement particulièrement long. C’est comme s’il fallait détruire une maison et refaire les fondations tout au long de sa construction, car les clients décident à quoi ressemblera leur maison au fur et à mesure qu’ils la voient grandir. Pour des raisons de temps et de budget, il n’est guère possible de faire ainsi. On procède donc par “assimilation” des nouvelles fonctionnalités, sans repenser l’ensemble, autrement dit sans “accommoder” l’existant. Les nouvelles fonctionnalités s’accumulent donc de façon chaotique et il devient difficile, pour un-e programmeur-se, de s’y retrouver, les anomalies sont nombreuses et la remise en ordre qu’il serait nécessaire de faire prendrait au moins autant de temps que celui déjà passé.
C’est aussi ce qui se passe dans la progression des connaissances académiques. Remettre en cause des fondations des connaissances académiques implique de réunir les experts qui font école dans leur domaine, et de les mettre d’accord, ce qui est loin d’être facile. Il en va aussi de la réputation des chercheurs qui ont publié des travaux sur des bases obsolètes, et de la notoriété et de la richesse des musées.
Pourtant, il y a beaucoup de choses que tout à chacun peut observer, qui font douter des versions officielles des sciences ou de l’Histoire.
Comment intégrer, dans les connaissances biologiques et chimiques dont nous disposons, l’efficacité de médecines parallèles, telle que l’Ayurveda (médecine indienne), la méditation, le yoga, par rapport à la panoplie chimique ou chirurgicale fortement intrusive qu’utilise habituellement les médecins ?
Comment avoir foi en la datation des civilisations celtes et romaines, alors que les copies les plus anciennes des textes latins dont disposent les bibliothèques et musées, et qui servent de références historiques, datent du IXe siècle – si l’on se fie aux estimations – ou même de la Renaissance ? Les plus vieux exemplaires des “Commentaires sur la guerre des Gaules” de Jules César (“Commentarii de Bello Gallico” Julius Caesar), principale source historique pour décrire les peuples celtes, sont estimés au IXe siècle de notre ère. Un de ces exemplaires est conservé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF), l’autre à Amsterdam. Les plus vieilles éditions (partielles) de “L’Histoire de Rome” (Ab Urbe Condita Libri) de Tite Live (Titus Livius), une des principales sources historiques de l’empire romain, sont aussi estimées au IXe siècle de notre ère. Une de ces éditions est aussi conservée à la BNF. Le site internet tertullian.org tient une remarquable liste des plus anciens manuscrits connus pour la plupart des auteurs classiques grecques et latins, avec leur date estimée.
D’autres incohérences entre les données archéologiques et la chronologie officielle sont observées par des chercheurs récentistes tels que les Russes Anatoly Fomenko et Gleb Novosky.
Les domaines des connaissances académiques ou du développement informatique ne sont pas les seuls qui évoluent de cette façon. Une grande problématique pour les démocraties aujourd’hui est le développement exponentiel des lois et de la jurisprudence, qui ne s’accompagne pas toujours d’un souci de clarté et de cohérence. Il en va de même pour les procédures administratives. Lorsqu’on sait que “nul n’est censé ignorer la loi”, on peut mesurer toutes les difficultés et les coûts que cela représente pour les entreprises comme pour les simples citoyens. Cette complexité est probablement une des raisons qui freinent l’adoption de la démocratie dans certaines parties du monde.
On fait nécessairement une erreur lorsque l’on tente de simplifier les attitudes humaines par des chiffres et des catégories. L’être humain et son milieu sont très complexes et penser que l’on peut totalement identifier et isoler une cause et un effet au travers d’une expérience est une illusion, c’est tenter de mettre l’infinie complexité de la nature dans une éprouvette.
L’expérimentation en sciences humaines
Les sciences humaines tentent d’étudier les différences entre groupes sociaux en s’appuyant sur la psychologie expérimentale et les statistiques inférentielles. La psychologie expérimentale tente d’isoler une variable indépendante et une variable dépendante, pour observer l’effet de la variation de la première sur la seconde. Les statistiques inférentielles permettent d’établir si une différence trouvée sur un échantillon de sujets est dite “significative” au regard de la population parente (avec une marge d’erreur), en utilisant des calculs de probabilité. Il y a plusieurs notions importantes à retenir au sujet de ces expériences :
– Corrélation ne signifie pas causalité. Si deux facteurs sont corrélés, par exemple le sexe et les performances, cela ne signifie pas que l’un explique le second. Des facteurs plus déterminant peuvent être éducatifs, par exemple les jouets que les sujets ont reçus à l’enfance et qui ont influencé le développement cognitif.
– Ces résultats ne sont pas définitifs. Une personne peut améliorer ses performances dans un domaine par l’exercice ou bien changer son attitude en changeant son image de soi et des autres. Le cerveau est un organe très flexible, il est possible que plus cet entraînement a lieu à un âge jeune et plus il produit des résultats rapides et durables, mais à chaque âge de la vie il est possible des changer ses attitudes et aptitudes. Par exemple, selon une étude de Kass, S.J. Ahlers R.H. and M. Dugger, (1998), avec l’apprentissage, les différences de scores en géométrie spatiale disparaissent.
– Ces résultats ne sont pas systématiques, il y a des gens qui ont une performance qui dépasse la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturel, sur une tâche en moyenne mieux exécutée par des gens qui appartiennent à un autre groupe socio-culturel, et inversement. Les résultats aux tests de performance en psychologie suivent en général une courbe de Gauss, c’est à dire une cloche renversée, la majorité des scores se groupant autours de la moyenne. Lorsque les performances de deux groupes de sujets diffèrent, c’est suivant deux courbes de Gauss qui se croisent, c’est à dire que, même si une différence de moyenne “significative” entre deux groupes peut-être trouvée, il y a toujours des individus du groupe à plus faible performance moyenne qui dépassent des individus du groupe à plus forte performance moyenne. Malheureusement la perception du public est telle qu’il croit que tous les gens ont une performance correspondant à la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturelle (voir les diagrammes ci-dessous).
La validité de la méthode expérimentale
Lorsque des expériences sont rendus publiques, il est facile d’ignorer certains résultats ou d’en ajouter des fictifs. Lorsque des budgets ou des idéaux sont en jeu, il n’y a aucun doute sur le fait que certaines expériences sont plus ou moins falsifiées. Parfois, leurs résultats sont acceptés par la communauté scientifiques sans que personne n’ait tenté de les répliquer. La nature est pleine de diversités, il est donc facile d’y trouver les données que l’on souhaite par rapport à son idéologie ou son intérêt en général, et d’ignorer les autres données. Par exemple, il existe des expériences de l’industrie pharmaceutique qui ignorent volontairement les effets secondaires de médicaments. Voir à ce sujet la conférence de Ben Goldacre sur le forum TED (en anglais).
Les observations “scientifiques” sur les différences de genre
Certains scientifiques alimentent des arguments sexistes par des relevés hormonaux, le constat de différences physiques et chromosomiques, et tracent une flèche causale pointant sur les différences sociales et psychologiques, comme si le fait d’avoir un vagin et des œstrogènes était le déterminant d’une prédisposition à demeurer dans le cloisonnement du foyer, s’occuper des enfants, être émotionnellement instable, et intellectuellement peu technique et peu créative.
Sans doute y a t’il une influence génétique dans la personnalité humaine. Les résultats des recherches sur de vrais jumeaux séparés à la naissance montrent que ceux-ci ont, par exemple, la même préférence pour certains aliments. Mais cela ne permet pas de déduire qu’il y a une part de génétique dans tout, notamment dans un domaine aussi culturellement ancré que les différences de genre sexuel et leur impact dans le développement de l’intelligence. Toutes les études génétiques montrent que les caractéristiques des parents se transmettent aux enfants indépendamment de leur sexe, donc un père ingénieur peut transmettre à sa fille son goût pour les mathématiques, par exemple.
Ces publications scientifiques et sexistes sont d’autant plus néfastes qu’elles sont à l’opposé du type d’information qui permet à l’individu d’avoir foi en lui afin de persévérer dans le développement de ses compétences. Carole Dweck, évoquée dans l’article Les modèle sociaux, montrent que l’idée que certains individus aient des prédispositions innées et fixes les amènent à fuir les défis et à renoncer facilement en cas d’échec. Au contraire, l’idée que toutes compétences se développent avec la pratique incite à persévérer dans l’effort, à accepter les critiques et à aimer les défis.
Le cerveau est effectivement un organe flexible. Les structures cérébrales changent lorsqu’une personne, pour diverses raisons, acquiert de nouvelles compétences ou change d’attitude : d’autres zones du cerveau sont stimulées, d’autres neurotransmetteurs sont produits. Si des recherches montrent des différences biologiques moyennes dans les structures cérébrales de différents groupes sociaux, en utilisant des statistiques sur un grand nombre de personnes, ces différences biologiques reflètent les différences sociales, elles ne les expliquent pas. Des recherches récentes montrent d’ailleurs que même l’expression de certains gènes est modifiée avec l’expérience ! C’est le domaine de l’épigénétique.
A propos des structures cérébrales, Catherine Vidal, neurobiologiste, écrit en septembre 2009 : “la variabilité individuelle dépasse le plus souvent la variabilité entre les sexes qui, en conséquence, fait figure d’exception“. Catherine Vidal réalise d’autres observations et réflexions intéressantes qu’elle a partagé lors d’entretiens avec des journalistes et à l’occasion d’une conférence à Ted Paris:
Voici un résumé de ses arguments principaux contre les prétendues différences intellectuelles “naturelles” entre hommes et femmes :
– Certains chercheurs ont avancé l’idée que les femmes sont moins intelligentes que les hommes parce que leur cerveau est en moyenne plus petit. Mais d’autres études montrent que taille du cerveau n’est pas lié à l’intelligence. Catherine Vidal écrit ainsi : “Des exemples fameux sont les cerveaux des écrivains Anatole France et Yvan Tourgueniev : le premier pesait 1kg et le second 2kg !“.
– Une autre idée reçue concerne la relation entre orientation sexuelle et des facteurs génétiques ou cérébraux. Catherine Vidal montre que ces études sont invalides et non confirmées par d’autres études équivalentes.
– D’autres chercheurs ont prétendu qu’hommes et femmes utilisaient leur cerveau différemment. Par exemple un chercheur a avancé l’idée que les hommes utilisent d’avantage l’hémisphère gauche que les femmes (se basant sur une quarantaine de sujets), mais cette recherche ne fût pas confirmée par l’étude d’un nombre plus important de sujets. Un autre chercheur montre que le corps calleux (reliant les deux hémisphères) est plus gros chez les femmes, se basant sur une vingtaine de cerveaux conservés au formol, et cela a alimenté de nombreuses spéculations quant aux faits que les femmes seraient plus “multitâches”. Cette observation ne fut pas non plus confirmée par l’analyse d’un nombre plus important de cerveaux. Hélas, en raison de la médiatisation de ces observations, bien qu’elles fussent invalidées, beaucoup continuent à croire en leur conclusion. Des études plus récentes montrent qu’en réalité, différents individus, indépendamment du sexe, ne mobilisent pas les mêmes zones cérébrales pour résoudre la même tâche. Catherine Vidal écrit : “Un des grands apports de l’imagerie cérébrale par IRM est précisément d’avoir révélé à quel point le fonctionnement du cerveau est variable d’un individu à l’autre. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit de manipuler en mémoire des représentations mentales pour résoudre un problème, comme dans le jeu d’échecs ou le calcul mental. Pour des performances égales, chacun de nous a sa propre façon d’activer ses neurones et d’organiser son raisonnement“.
– Catherine Vidal montre aussi que l’essentiel du cerveau se développe après la naissance en fonction du milieu. Grâce aux techniques d’imageries médicales, on peut voir le cerveau se modifier en fonction d’apprentissage, par exemple chez des musiciens : “épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts ainsi que dans l’audition et la vision“, chez des chauffeurs de taxi : “les zones du cortex qui contrôlent la représentation de l’espace sont plus développées, et ce proportionnellement au nombre d’années d’expérience de la conduite du taxi“, chez des jongleurs : “épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et des mains“. Le même phénomène est observé chez des personnes développant des savoirs plus abstraits (chimie, physique, biologie). Ces études démontrent la plasticité cérébrale et Catherine Vidal conclue ainsi : “voir des différences entre les individus ou entre les sexes, ne signifie pas qu’elles sont inscrites dans le cerveau depuis la naissance ni qu’elles y resteront.“. A ce sujet, il est intéressant de noter que ces observations cérébrales sont aussi utilisées par l’équipe de Mindsetworks (inspirée par Carole Dweck), pour encourager les enfants des deux sexes à persévérer dans l’effort, par l’intermédiaire d’une vidéo éducative (en anglais).
– Des études ont montré qu’en moyenne les femmes réussissent mieux dans des tests de langage, tandis que les hommes sont meilleurs dans des tests d’orientation dans l’espace. Ces différences hommes – femmes ne sont pas systématiques : “la dispersion des valeurs est telle qu’on trouve un nombre non négligeable de femmes qui sont meilleures dans les tests des hommes et réciproquement“. Elles ne sont pas non plus définitives : “avec l’apprentissage, les différences de scores disparaissent“. De plus ces différences sont faibles. Elles peuvent même disparaissent en fonction des attributions, par exemple, dans le cas de la performance spatiale, lorsque des exercices sont présentés comme des exercices de dessin plutôt que de géométrie (voir “l’effet Pygmalion et la menace du stéréotype” dans “Les modèles sociaux“).
– La relation hormones et comportements est aussi mise en question. Aucune étude ne confirme, chez l’être humain, la relation entre testostérone et agressivité par exemple, et il n’existe pas de déséquilibres hormonaux chez les personnes homosexuelles. Catherine Vidal écrit ainsi, citant Zweifel : “dans des conditions physiologiques normales, aucune étude scientifique n’a montré de relation directe de cause à effet entre les taux d’hormones et les variations de nos états d’âme“. Ainsi, le comportement humain semble se baser sur des déterminants plus complexes que l’animal. Peut-être que certains changements hormonaux exercent une influence, mais de façon différente pour chaque personne, puisque l’intervention du raisonnement abstrait est plus fort chez l’être humain et celui-ci s’établit sur la base d’une grande diversité d’expériences propre à chaque personne.
La science nous offre l’idée qu’un jour, tout sera sous contrôle, puisque tout obéit à des règles régulières. Il suffit de trouver les formules mathématiques qui imitent le mieux les observations, afin de réaliser des prédictions. En fait, c’est vrai dans un environnement où l’on contrôle tout, et où l’on se limite à ce qu’on peut observer à notre échelle d’espace et de temps.
Les lois de la gravité ne suffisent pas à expliquer certains mouvements des astres, par exemple le fait que les galaxies s’éloignent les unes des autres de plus en plus vite. Pour l’expliquer, on parle de “matière noire”, inobservable directement, et exerçant une force de gravité. Mais en fait, nous ne savons pas.
Même dans notre palette conceptuelle et sensorielle limitée, il est difficile de reproduire un environnement avec précision, et donc de faire des prédictions parfaites, car nos instruments de mesure sont limités. Or, de très petites différences de conditions initiales, qui ne sont pas toujours mesurables, peuvent produire des résultats tout à fait différents.
C’est ce qu’a observé un météorologue nommé Lorenz dans les années soixante. Il réalisait des prévisions météo à partir de formules mathématiques complexes prenant en paramètres des conditions climatiques telles que la vitesse du vent, la température et la pression. En laissant plus de chiffres après la virgule, donc en entrant des mesures plus précises, les résultats deviennent tout à fait différents. Il en déduit que des variations subtiles peuvent produire de grands changements
Un battement d’ailes de papillon au Brésil peut produire une tornade au Texas Edward Lorenz, 1972
Avant Lorenz, Mary Lucy Cartwright et John Edensor Littlewood avaient observé un phénomène pareillement surprenant, pendant la seconde guerre mondiale, au sujet des ondes radio. Lorsque l’amplitude des ondes radio était plus petite, leur transmission devenait plus instable, autrement-dit, imprédictible.
Lorsqu’on va vers l’extrêmement petit, au niveau des constituants supposés des atomes, la prédictibilité devient plus dure, et les physiciens calculent des probabilités d’événements. C’est le domaine de la physique quantique. Certaines observations vont jusqu’à défier nos capacités conceptuelles, par exemple le fait qu’un photon ou un électron puisse avoir parfois les propriétés d’une particule, et parfois celles d’une onde, selon la manière dont on le mesure.
Il n’y a que dans le monde mathématique, c’est à dire notre monde conceptuel, que nous pouvons produire de parfaites prédictions. Les connaissances que nous possédons dans d’autres disciplines sont de simples observations à partir desquelles nous avons dégagé des récurrences nous offrant une prédictibilité suffisante sur notre échelle de temps et d’espace, et qui parfois font l’objet de modèles mathématiques.
Ainsi, aucun être humain ne pourra totalement définir la réalité, car nous sommes limités dans ce que nous sommes capables d’observer et de concevoir. Nous pouvons observer des redondances et en déduire des règles, elles demeurent valables pour notre niveau d’observation seulement, dans un environnement où tout est sous contrôle.