On fait nécessairement une erreur lorsque l’on tente de simplifier les attitudes humaines par des chiffres et des catégories. L’être humain et son milieu sont très complexes et penser que l’on peut totalement identifier et isoler une cause et un effet au travers d’une expérience est une illusion, c’est tenter de mettre l’infinie complexité de la nature dans une éprouvette.
L’expérimentation en sciences humaines
Les sciences humaines tentent d’étudier les différences entre groupes sociaux en s’appuyant sur la psychologie expérimentale et les statistiques inférentielles. La psychologie expérimentale tente d’isoler une variable indépendante et une variable dépendante, pour observer l’effet de la variation de la première sur la seconde. Les statistiques inférentielles permettent d’établir si une différence trouvée sur un échantillon de sujets est dite “significative” au regard de la population parente (avec une marge d’erreur), en utilisant des calculs de probabilité.
Il y a plusieurs notions importantes à retenir au sujet de ces expériences :
– Corrélation ne signifie pas causalité. Si deux facteurs sont corrélés, par exemple le sexe et les performances, cela ne signifie pas que l’un explique le second. Des facteurs plus déterminant peuvent être éducatifs, par exemple les jouets que les sujets ont reçus à l’enfance et qui ont influencé le développement cognitif.
– Ces résultats ne sont pas définitifs. Une personne peut améliorer ses performances dans un domaine par l’exercice ou bien changer son attitude en changeant son image de soi et des autres. Le cerveau est un organe très flexible, il est possible que plus cet entraînement a lieu à un âge jeune et plus il produit des résultats rapides et durables, mais à chaque âge de la vie il est possible des changer ses attitudes et aptitudes.
Par exemple, selon une étude de Kass, S.J. Ahlers R.H. and M. Dugger, (1998), avec l’apprentissage, les différences de scores en géométrie spatiale disparaissent.
– Ces résultats ne sont pas systématiques, il y a des gens qui ont une performance qui dépasse la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturel, sur une tâche en moyenne mieux exécutée par des gens qui appartiennent à un autre groupe socio-culturel, et inversement. Les résultats aux tests de performance en psychologie suivent en général une courbe de Gauss, c’est à dire une cloche renversée, la majorité des scores se groupant autours de la moyenne. Lorsque les performances de deux groupes de sujets diffèrent, c’est suivant deux courbes de Gauss qui se croisent, c’est à dire que, même si une différence de moyenne “significative” entre deux groupes peut-être trouvée, il y a toujours des individus du groupe à plus faible performance moyenne qui dépassent des individus du groupe à plus forte performance moyenne. Malheureusement la perception du public est telle qu’il croit que tous les gens ont une performance correspondant à la moyenne de leur groupe d’appartenance socio-culturelle (voir les diagrammes ci-dessous).
La validité de la méthode expérimentale
Lorsque des expériences sont rendus publiques, il est facile d’ignorer certains résultats ou d’en ajouter des fictifs. Lorsque des budgets ou des idéaux sont en jeu, il n’y a aucun doute sur le fait que certaines expériences sont plus ou moins falsifiées. Parfois, leurs résultats sont acceptés par la communauté scientifiques sans que personne n’ait tenté de les répliquer.
La nature est pleine de diversités, il est donc facile d’y trouver les données que l’on souhaite par rapport à son idéologie ou son intérêt en général, et d’ignorer les autres données.
Par exemple, il existe des expériences de l’industrie pharmaceutique qui ignorent volontairement les effets secondaires de médicaments. Voir à ce sujet la conférence de Ben Goldacre sur le forum TED (en anglais).
Les observations “scientifiques” sur les différences de genre
Certains scientifiques alimentent des arguments sexistes par des relevés hormonaux, le constat de différences physiques et chromosomiques, et tracent une flèche causale pointant sur les différences sociales et psychologiques, comme si le fait d’avoir un vagin et des œstrogènes était le déterminant d’une prédisposition à demeurer dans le cloisonnement du foyer, s’occuper des enfants, être émotionnellement instable, et intellectuellement peu technique et peu créative.
Sans doute y a t’il une influence génétique dans la personnalité humaine. Les résultats des recherches sur de vrais jumeaux séparés à la naissance montrent que ceux-ci ont, par exemple, la même préférence pour certains aliments. Mais cela ne permet pas de déduire qu’il y a une part de génétique dans tout, notamment dans un domaine aussi culturellement ancré que les différences de genre sexuel et leur impact dans le développement de l’intelligence. Toutes les études génétiques montrent que les caractéristiques des parents se transmettent aux enfants indépendamment de leur sexe, donc un père ingénieur peut transmettre à sa fille son goût pour les mathématiques, par exemple.
Ces publications scientifiques et sexistes sont d’autant plus néfastes qu’elles sont à l’opposé du type d’information qui permet à l’individu d’avoir foi en lui afin de persévérer dans le développement de ses compétences. Carole Dweck, évoquée dans l’article Les modèle sociaux, montrent que l’idée que certains individus aient des prédispositions innées et fixes les amènent à fuir les défis et à renoncer facilement en cas d’échec. Au contraire, l’idée que toutes compétences se développent avec la pratique incite à persévérer dans l’effort, à accepter les critiques et à aimer les défis.
Le cerveau est effectivement un organe flexible. Les structures cérébrales changent lorsqu’une personne, pour diverses raisons, acquiert de nouvelles compétences ou change d’attitude : d’autres zones du cerveau sont stimulées, d’autres neurotransmetteurs sont produits. Si des recherches montrent des différences biologiques moyennes dans les structures cérébrales de différents groupes sociaux, en utilisant des statistiques sur un grand nombre de personnes, ces différences biologiques reflètent les différences sociales, elles ne les expliquent pas.
Des recherches récentes montrent d’ailleurs que même l’expression de certains gènes est modifiée avec l’expérience ! C’est le domaine de l’épigénétique.
A propos des structures cérébrales, Catherine Vidal, neurobiologiste, écrit en septembre 2009 : “la variabilité individuelle dépasse le plus souvent la variabilité entre les sexes qui, en conséquence, fait figure d’exception“. Catherine Vidal réalise d’autres observations et réflexions intéressantes qu’elle a partagé lors d’entretiens avec des journalistes et à l’occasion d’une conférence à Ted Paris:
Voici un résumé de ses arguments principaux contre les prétendues différences intellectuelles “naturelles” entre hommes et femmes :
– Certains chercheurs ont avancé l’idée que les femmes sont moins intelligentes que les hommes parce que leur cerveau est en moyenne plus petit. Mais d’autres études montrent que taille du cerveau n’est pas lié à l’intelligence. Catherine Vidal écrit ainsi : “Des exemples fameux sont les cerveaux des écrivains Anatole France et Yvan Tourgueniev : le premier pesait 1kg et le second 2kg !“.
– Une autre idée reçue concerne la relation entre orientation sexuelle et des facteurs génétiques ou cérébraux. Catherine Vidal montre que ces études sont invalides et non confirmées par d’autres études équivalentes.
– D’autres chercheurs ont prétendu qu’hommes et femmes utilisaient leur cerveau différemment. Par exemple un chercheur a avancé l’idée que les hommes utilisent d’avantage l’hémisphère gauche que les femmes (se basant sur une quarantaine de sujets), mais cette recherche ne fût pas confirmée par l’étude d’un nombre plus important de sujets. Un autre chercheur montre que le corps calleux (reliant les deux hémisphères) est plus gros chez les femmes, se basant sur une vingtaine de cerveaux conservés au formol, et cela a alimenté de nombreuses spéculations quant aux faits que les femmes seraient plus “multitâches”. Cette observation ne fut pas non plus confirmée par l’analyse d’un nombre plus important de cerveaux. Hélas, en raison de la médiatisation de ces observations, bien qu’elles fussent invalidées, beaucoup continuent à croire en leur conclusion. Des études plus récentes montrent qu’en réalité, différents individus, indépendamment du sexe, ne mobilisent pas les mêmes zones cérébrales pour résoudre la même tâche. Catherine Vidal écrit : “Un des grands apports de l’imagerie cérébrale par IRM est précisément d’avoir révélé à quel point le fonctionnement du cerveau est variable d’un individu à l’autre. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit de manipuler en mémoire des représentations mentales pour résoudre un problème, comme dans le jeu d’échecs ou le calcul mental. Pour des performances égales, chacun de nous a sa propre façon d’activer ses neurones et d’organiser son raisonnement“.
– Catherine Vidal montre aussi que l’essentiel du cerveau se développe après la naissance en fonction du milieu. Grâce aux techniques d’imageries médicales, on peut voir le cerveau se modifier en fonction d’apprentissage, par exemple chez des musiciens : “épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts ainsi que dans l’audition et la vision“, chez des chauffeurs de taxi : “les zones du cortex qui contrôlent la représentation de l’espace sont plus développées, et ce proportionnellement au nombre d’années d’expérience de la conduite du taxi“, chez des jongleurs : “épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et des mains“. Le même phénomène est observé chez des personnes développant des savoirs plus abstraits (chimie, physique, biologie). Ces études démontrent la plasticité cérébrale et Catherine Vidal conclue ainsi : “voir des différences entre les individus ou entre les sexes, ne signifie pas qu’elles sont inscrites dans le cerveau depuis la naissance ni qu’elles y resteront.“.
A ce sujet, il est intéressant de noter que ces observations cérébrales sont aussi utilisées par l’équipe de Mindsetworks (inspirée par Carole Dweck), pour encourager les enfants des deux sexes à persévérer dans l’effort, par l’intermédiaire d’une vidéo éducative (en anglais).
– Des études ont montré qu’en moyenne les femmes réussissent mieux dans des tests de langage, tandis que les hommes sont meilleurs dans des tests d’orientation dans l’espace. Ces différences hommes – femmes ne sont pas systématiques : “la dispersion des valeurs est telle qu’on trouve un nombre non négligeable de femmes qui sont meilleures dans les tests des hommes et réciproquement“. Elles ne sont pas non plus définitives : “avec l’apprentissage, les différences de scores disparaissent“. De plus ces différences sont faibles. Elles peuvent même disparaissent en fonction des attributions, par exemple, dans le cas de la performance spatiale, lorsque des exercices sont présentés comme des exercices de dessin plutôt que de géométrie (voir “l’effet Pygmalion et la menace du stéréotype” dans “Les modèles sociaux“).
– La relation hormones et comportements est aussi mise en question. Aucune étude ne confirme, chez l’être humain, la relation entre testostérone et agressivité par exemple, et il n’existe pas de déséquilibres hormonaux chez les personnes homosexuelles. Catherine Vidal écrit ainsi, citant Zweifel : “dans des conditions physiologiques normales, aucune étude scientifique n’a montré de relation directe de cause à effet entre les taux d’hormones et les variations de nos états d’âme“. Ainsi, le comportement humain semble se baser sur des déterminants plus complexes que l’animal. Peut-être que certains changements hormonaux exercent une influence, mais de façon différente pour chaque personne, puisque l’intervention du raisonnement abstrait est plus fort chez l’être humain et celui-ci s’établit sur la base d’une grande diversité d’expériences propre à chaque personne.